Aux urgences, un homme blanc est susceptible d'être pris en charge plus rapidement qu'une femme noire, révèle une étude

Un soignant dans un couloir du service des urgences du CHRU de Nancy, le 11 juillet 2022
Plus de 1500 urgentistes, résidents en médecine et infirmiers/infirmières ont participé à une enquête en France, en Suisse, à Monaco et en Belgique dans laquelle ils devaient évaluer le degré de gravité d'un patient imaginaire atteint de douleurs thoraciques. Les résultats démontrent l'existence de discriminations liées au sexe et à l'apparence ethnique des individus dans l'évaluation de la priorité à leur donner.

Une personne atteinte de douleurs thoraciques sera-t-elle prise en charge différemment en fonction de sa couleur de peau ou de son genre ? Oui, selon une étude publiée dans la revue European Journal of Emergency Medicine au mois de décembre. En juillet et août dernier, huit chercheurs en médecine de centres hospitaliers universitaires en France et en Suisse ont envoyé un cas clinique fictif dans les services d'urgence de 159 hôpitaux français, belges, suisses et monégasques. Plus de 1500 personnes – des urgentistes, des résidents en médecines, des infirmiers, des infirmières –, ont répondu.

Face à une photo d'un patient imaginaire et d'une description détaillée de ses symptômes et de ses antécédents médicaux, les personnes sondées devaient se prononcer sur la priorité à donner à sa prise en charge, en attribuant un chiffre de 1 à 5, selon la gravité perçue de l'état de santé du cobaye (1 nécessitant une prise en charge immédiate, 5 pouvant faire attendre le patient quelques heures).

Résultats : "Comparés aux patients blancs, les patients noirs étaient moins susceptibles de recevoir un traitement d'urgence. La même chose était vraie pour les femmes par rapport aux hommes", expliquent les chercheurs.

Des différences selon le sexe et l'origine du patient

Chaque personne questionnée dans cette étude était face à un cas clinique unique. Le même pour tous. Seule différence entre les patients imaginaires : leur apparence ethnique et leur sexe. 

Entre 55 % et 61 % des médecins, résidents et infirmiers/infirmières qui ont eu à traiter le cas d'un patient blanc, nord-africain ou asiatique (hommes et femmes compris) ont jugé que son état était grave et qu'il devait être pris en charge rapidement (gravité de 1 à 2). En revanche, pour ceux qui ont eu à se pencher sur l'évaluation d'une personne noire, ils étaient seulement 48 % à considérer leur malade en urgence absolue. 52 % ont estimé, au contraire, que son état de santé n'était pas préoccupant, et qu'elle pouvait attendre un peu avant qu'un médecin s'occupe d'elle (gravité de 3 à 5). 

L'étude démontre qu'il existe un biais dans la prise en charge des personnes au sein des services d'urgence, selon la couleur de peau des individus. Et la discrimination est également vraie concernant le genre du patient. Quand un médecin ou un infirmier devait se prononcer sur le cas d'une femme, ils étaient 49 % à les classer dans la catégorie d'urgence absolue. Mais pour les hommes, ce taux est bien plus élevé (62 %), laissant présager une minimisation des symptômes chez la gent féminine.

Améliorer la formation des étudiants

Pire : l'écart se creuse encore plus si l'on compare les femmes noires (42 % en urgence vitale) et les hommes blancs (63 %). "Cela fait 50 % de chance en plus d'être classé dans les urgences vitales pour un homme blanc", explique à France Inter le professeur Xavier Bobbia, chef du service des urgences du CHU de Montpellier qui a coordonné l’étude.

Si l'enquête montre qu'il existe des discriminations selon le sexe et l'apparence ethnique dans la prise en charge des patients aux urgences, elle n'apporte pas d'explications sur le phénomène. Les chercheurs avancent néanmoins quelques hypothèses pour tenter de comprendre l'origine de ces biais : la prédominance de modèles masculins lors des études de médecine, qui justifierait une plus grande aptitude à diagnostiquer les hommes ; ou encore la répartition géographique des risques cardio-vasculaires, qui touchent davantage les personnes originaires d’Afrique du Nord, d’Asie centrale et d’Europe centrale, que celles originaires d’Afrique subsaharienne, et qui expliquerait que le risque est davantage considéré pour les personnes blanches que les personnes noires.

D'autres études sont nécessaires pour comprendre ces différences de traitement et faire en sorte de les combattre. "La capacité de triage [la répartition des patients selon la gravité de leurs symptômes, NDLR] devrait être développée dans la formation des médecins et des infirmiers et infirmières pour atteindre des compétences standardisées", recommandent les chercheurs.