"Moi je suis juste la plume, eux ils sont tout le reste." Edith Gignoux est biographe familiale depuis vingt ans. Installée à Sainte-Clotilde, à La Réunion, elle écrit la vie des anonymes, des inconnus, des gens normaux. Un deuxième métier pour cette ancienne journaliste, qui s’était fait une spécialité des portraits.
À la mort de son grand-père, Edith Gignoux découvre des manuscrits de lui. Il y parle de sa vie, mais des années entières manquent. "J’ai regretté de ne pas en avoir discuté avec lui avant", se souvient-elle. Peu après, en feuilletant un journal, elle découvre un peu par hasard l’existence du métier de biographe familial, et décide de se reconvertir.
Documenter le temps lontan
Née à La Réunion de parents originaires de l’Hexagone, elle passe son enfance sur l’île avant de s’installer en région parisienne pour ses études. Retournée à La Réunion depuis la fin des années 1990, Edith Gignoux est ravie d’exercer ce métier sur le territoire. "Je trouvais ça intéressant de travailler sur le lien intergénérationnel ici. L’île a beaucoup, beaucoup, changé en très peu de temps. Les modes de vie ont été bouleversés en à peine deux générations, explique-t-elle. Donc aujourd’hui on a des enfants qui ne savent absolument pas que leurs grands-parents n’avaient ni l’eau, ni l’électricité, marchaient des kilomètres à pied… Pour moi il y a vraiment une transmission à faire, une transmission de mémoire."
Je me suis rendu compte que les enfants ne connaissent pas les fruits lontan, les légumes lontan, les jeux lontan… Tout ça, je trouve que c’est dommage de le perdre, donc à ma petite échelle j’essaye de le conserver.
Parallèlement à son activité d’écriture, Edith Gignoux intervient dans les écoles réunionnaises. Elle fait venir des personnes âgées en classe pour que les enfants puissent en savoir un peu plus sur "le temps lontan".
Mémoires des gens normaux
Les livres demandent des mois, voire des années de travail. Une quinzaine d’entretiens d’une à deux heures sont nécessaires pour écrire une histoire de vie complète. Après l’entretien, la biographe se met à écrire. A la rencontre suivante, elle rend les pages à son client, pour qu’il puisse apporter des précisions ou des modifications.
Edith Gignoux est parfois amenée à faire des recherches généalogiques ou à vérifier certaines dates. Mais les récits de vie confus lui importent peu. "Je ne suis pas policier, je ne vérifie absolument pas ce que les gens me disent. Si les gens ont envie d’inventer leur vie, ils l’inventent", dit-elle en riant.
Les clients de la biographe sont des personnes âgées, qui souhaitent témoigner de leur vécu pour leurs enfants ou leurs petits-enfants. Ou à l’inverse des enfants qui offrent le livre de leur vie en cadeau à leurs parents ou à leurs grands-parents. Pour une histoire de vie complète, il faut compter entre 2000 et 3000 euros.
J’essaye de m’adapter, je n’adopte pas forcément le même style en fonction de la personne qui est face à moi. L’idée c’est de mettre des mots qui sont les leurs, pas les miens."
Edith Gignoux a aussi travaillé en partenariat avec la mairie de Saint-Paul, qui offrait aux couples fêtant leurs cinquante ans de mariage une biographie de leur vie. "C’est vrai qu’au début ils auraient préféré une bouteille de champagne, reconnait-elle en riant. La plupart venaient de milieux assez peu favorisés. Souvent, ils ne comprenaient pas très bien le cadeau qui leur était offert parce qu’ils ne savaient pas lire ni écrire. Mais après, quand ils le montraient à leurs enfants ou à leurs petits-enfants... Il y avait un tel regard de fierté ! Les questions qui se posaient… Tout d’un coup ça devenait un vrai cadeau !"
Secret de famille et tabous
Faire écrire sa biographie est parfois l’occasion de dévoiler un secret de famille, sans avoir à le dire. Une des clientes d’Edith Gignoux, dont la biographie est prête depuis longtemps, n’a toujours pas distribué son livre à ses proches. Après des mois, la biographe a compris "qu’ils l’auront après sa mort".
Certaines personnes ne la contactent pas pour une biographie complète, mais pour écrire une tranche de vie, souvent centrée sur un traumatisme. Edith Gignoux est parfois confrontée à des histoires particulièrement violentes. Elle a notamment travaillé sur l’écriture de Vivre ! et Vivre après avoir parlé de l’inceste, deux livres biographiques où la Réunionnaise Isabelle Maillot raconte ce qu’elle a subi enfant. "J’ai une grande capacité de distanciation. C’est leur histoire, pas la mienne. J’écris un livre pour eux, mais je ne suis pas eux", explique la biographe.
Visiblement fière de son métier, Edith Gignoux a écrit une soixantaine de livres en 20 ans. La plupart de ses clients vivent à La Réunion, mais aussi dans l’Hexagone, et même au Canada.