Canada-Nouvelle-Zélande : scandale autour d’une bière à l’effigie d’un roi maori

Potatau Te Wherowhero
Potatau Te Wherowhero. C’est le nom du 1er roi maori. Mais c’est aussi celui d’une bière canadienne à l’effigie du souverain qui a provoqué l’indignation de Polynésiens et de media de Nouvelle-Zélande. Résultat, personne ne verra plus jamais ces bouteilles.
 
Ras L’Bock affirme avoir voulu rendre hommage à la culture maorie à travers son premier roi, Potatau Te Wherowhero. Depuis 5 ans, la microbrasserie québécoise de Saint-Jean-Port-Joli a produit 3 fois une bière saisonnière, avec 100% de houblon néo-zélandais. Le nom et une caricature du souverain figuraient sur les bouteilles.

Des Maoris ont été furieux en découvrant l’affaire par hasard sur Facebook et sur un site d’amateurs de bière. Via les sites de media néo-zélandais, certains ont même proposé de mettre l’image de l’équipe de hockey de Toronto, les Maple Leafs, sur du papier de toilette.
 

Une figure intouchable

Car la figure du roi est intouchable pour ses fidèles. “Si les responsables la brasserie avait consulté les Maoris avant d’utiliser le nom et image, ils aurait compris pourquoi il ne fallait pas s’en servir, et l’incident n’aurait jamais eu lieu,” explique Rahui Papa, le porte-parole du mouvement  Kingitanga, au medium maori Te Ao, repris dans le quotidien canadien LA Presse.

Comment vous sentiriez-vous si une personne que vous aimez, que vous vénérez, se retrouvait sur une bouteille de bière,” ajoute Taima Moeke-Pickering, d’origine maorie et directrice de l’Ecole des services sociaux pour les Autochtones à l’Université Laurentienne de Sudbury dans l’Ontario.  “Les autochtones ne sont pas des mascottes.
 

« C’était clairement une erreur »

Rapidement la microbrasserie a compris la bourde. Elle a présenté ses excuses et a promis de retirer toute les références à la Potatau Te Wherowhero sur son site internet et sur les réseaux sociaux. Mieux, la bière ne reviendra pas le marché.

"C’était de l’appropriation culturelle et c’était clairement une erreur", reconnait Alexandre Caron, copropriétaire de Ras L’Bock auprès de La Presse.  "Certaines personnes qui nous ont écrit se disaient connectées au Roi. C’était comme si on insultait leur famille."
 

Potatau Te Wherowhero et la monarchie maorie

La monarchie maorie n’est pas une monarchie classique. Il s’agit d’une monarchie dite protestataire. A la base, un mouvement de reconnaissance des droits maoris face aux autorités coloniales. Il a donné naissance à une monarchie reconnue surtout par les Maoris de l’île du Nord, l’une des deux îles de Nouvelle-Zélande.

Potatau Te Wherowhero, chef de la tribu Waikato, est désigné comme le premier roi, sous le nom de  Potatau 1er, en 1857. Le but de cette institution est la consolidation de la culture maorie. L’actuel souverain, Tuheitia Te Wherowhero VII donne des recommandations sur la culture, la spiritualité et l’environnement. Son autorité est respectée par la population maorie.
 

Monarchie nouvelle comme à Tahiti sept décennies auparavant

Cette apparition relativement récente d’une monarchie en plein Pacifique Sud, avec la venue des Européens, n’est pas nouvelle. Auparavant, Tahiti, d’abord sous influence anglaise, a eu aussi une monarchie dès 1788. Une monarchie héréditaire, mais là encore créée de toutes pièces après l’arrivée des Britanniques. Ceux-ci ont d’ailleurs fortement aidé à sa mise en place.

Vers 1790, l’ancien chef Tū devient le roi Pomare I grâce aussi, notamment, à l’appui d’anciens mutins du Bounty.
Une royauté qui comme son homologue maorie affrontera une puissance coloniale. Mais pour la reine Pomare IV, anglophile, l’adversaire sera la France dont la présence remplace celle de la Grande-Bretagne. Très vite, Paris s’entend avec les chefs locaux soucieux de leur indépendance vis-à-vis de leur souverain pour prendre en tenailles la royauté qui s’affaiblit progressivement. Celle-ci ne survivra pas longtemps à la IIIème république. En 1880, le roi Pomare V, peu investi, abdique en faveur de la France, sous la pression du gouverneur et des chefs locaux. Auparavant protectorat, Tahiti devient une colonie. Mais ses habitants reçoivent la citoyenneté française.
 

Des légitimités monarchiques différentes dans le Pacifique

Certes, comme son homologue maorie la monarchie tahitienne était récente et s’est opposée un temps au colonisateur, mais elle n’avait pas la même légitimité. Elle n’était pas issue de la base. Et dès 1870, elle n’avait plus, face à la république,  l’autre légitimité, en miroir, que donnait aux souverains de Nouvelle-Zélande la royauté britannique.

Et elle n’avait pas non plus la légitimité des trois royautés de Wallis-et-Futuna. Des monarchies aristocratiques électives (seules les familles royales élisent le roi) enracinées, dont les souverains sont destituables. Ceux-ci ont su gérer leur relation avec la France. Protectorat d’abord, Wallis-et-Futuna n’a pas été une colonie à proprement parler. Après 1961, c’est devenu un territoire puis une collectivité d’Outre-mer. A l’image d’autres pays du Pacifique (Tonga, Samoa,…), l’archipel a gardé ses royaumes, tout comme le peuple maori de Nouvelle-Zélande a toujours son roi.
 

Galerie de portraits

Portrait de Pomare I peint en 1777 par John Webber
 
Portrait de Pomare IV quelques années avant sa mort
Pomare V