Célébration laïque pour Nuit du Tout-Monde au musée d’Orsay

Au musée d’Orsay, une Nuit du Tout-Monde était organisée le 10 mai en lien avec la pensée d’Edouard Glissant sur la «mémoire des esclavages». Le public a pu découvrir l’exposition «Le modèle noir» puis écouter des interventions poétiques.
Au musée d’Orsay, les Watabwi, groupe orchestral de souffleurs de conques marines venus spécialement de la Martinique ont ouvert puis accompagné la Nuit du Tout-Monde jusqu’à l’Olympia. L’œuvre d’Edouard Manet ne scandalise plus comme au Salon de 1865, où elle avait provoqué un scandale retentissant. Dans l’exposition « Le modèle noir » elle bénéficie même d’une salle entière sur ses variations…

Edouard Glissant (1928-2011) donnait ainsi la « définition » du Tout-Monde dans son Traité du Tout-Monde (1997) : « J’appelle Tout-monde notre univers tel qu'il change et perdure en échangeant et, en même temps, la "vision" que nous en avons. La totalité-monde dans sa diversité physique et dans les représentations qu'elle nous inspire. »
©la1ere
 

Mémoires des esclavages

La réflexion de l’écrivain martiniquais sur l’esclavage avait abouti en 2007 à un livre, « Mémoires des esclavages » où il souhaitait une « fondation » qui aurait mis en partage et actualités, études, archives et mémorial, dans « une relation à venir entre humanités ». Une fondation dont la naissance a été sans cesse annoncée et qui a achoppé sur la réunion des fonds nécessaires à son fonctionnement.
 

Une Fondation promise

Promise il y a un an à l'occasion du 170e anniversaire de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, la fondation pour la mémoire de l'esclavage verra le jour "dans les prochains mois" avant l'inauguration d'un mémorial à Paris en 2021, a annoncé le 10 mai Emmanuel Macron. Une Fondation sur l'esclavage en 2019, un mémorial en 2021.
 

Une célébration « laïque »

Dans ce contexte, la Nuit du Tout-Monde au musée d’Orsay n’est pas revenue sur ces considérations de politique mémorielle. C’était d’abord une célébration des luttes anti-esclavagistes, une célébration qu’il est nécessaire de qualifier de « laïque » tant la communion entre participants semblait acquise.
 

L’utopie d’un monde à la mémoire commune

Les musiques entendues sans la nef grandiose du Musée allaient du balaphon chromatique de l’artistique camerounais Ba Banga Nyeck jouant le générique de « Rue Case-Nègres » à l’Othello de Verdi près de la statue de Carpeaux, Ugolin, dont à cet instant on ne voit pas l’effroi, ou à « Black is the color of my true love’s hair », de Nina Simone, interprétés par Edwin Fardini et son quintet d’art lyrique.

Les textes dits pendant la soirée traversaient, de manière hélas décousue, la négritude comme le Tout-Monde, la poésie du palestinien Mahmoud Darwich lu par Christiane Taubira (« Du charbon jaillit le champagne des puissants ») ou la poésie lyrique et exigeante de Glissant.
 

« L’hystérie assassine des frontières »

A ce titre, soulignons la prestation de Sophie Bourel et Karim Touré dans Les Indes, ou encore l’engagement d’hospitalité pour les migrants, par-delà un thème cher à l’artiste et linguiste Jacques Coursil comme à l’écrivain Patrick Chamoiseau qui a dénoncé « l’hystérie assassine des frontières » et dit un texte prolongeant la geste des Batoutos.

Ce peuple avait été imaginé par Édouard Glissant dans son roman Sartorius (1999). Un peuple qui serait le peuple rêvé de demain par-delà les murs et les frontières de couleurs de peau ou des discriminations. Histoire, dans un monde « déboussolé », de trouver une « boussole des possibles », selon la juriste et professeur honoraire Mireille Delmas-Marty.