Charlotte Adigéry, pépite électro-pop ancrée dans ses racines antillaises

Charlotte Adigéry lors de son concert aux Inrocks Festival à la Gaîté Lyrique à Paris, le 5 mars 2020.
La chanteuse belge Charlotte Adigéry a choisi d'infuser dans son dernier EP ses origines martiniquaise et guadeloupéenne. Des titres qui mêlent rythmiques créoles et mélodies électro, aux histoires mystérieuses et métissées. Rencontre avec une une artiste sans étiquette.
S'il fallait résumer Charlotte Adigéry à un mot, ce serait "fluide". Dans sa musique, dans son esthétique et sur scène, la chanteuse évolue sans barrière et sans étiquette, naturellement. "Quand tu es authentique, tu es toujours unique", lâche-t-elle. Finalement, la réduire à un mot ou un style relève de la mission impossible.

Alors à quelques minutes de monter sur la scène de la Gaîté Lyrique à Paris pour son concert aux Inrocks Festival, elle accepte de jeter un rapide coup d'oeil en arrière afin de la découvrir : une enfance à Gand dans le nord-ouest de la Belgique, aux côtés de son père et de sa mère, respectivement guadeloupéen et martiniquais, un EP "Zandoli" sorti il y a un an et un titre, "Paténipat", utilisé dans la série américaine The New Pope.
  

Le gwoka rencontre la house

Dans ce titre, véritable litanie sur fond musical entêtant, Charlotte Adigéry scande "zandoli pa téni pat" (le lézard n'a pas de pattes), une phrase qui permet aux joueurs de gwoka marquer le rythme. Aux percussions guadeloupéennes, elle mêle avec le compositeur Boris Pupul des sonorités house nerveuses. Tous les deux partagent le métissage musical et le mélange des cultures, l'un moitié-Chinois, moitié-Belge et l'autre, caraïbo-flamande. "C'est dans la musique qu'on a appris à s'assumer encore plus et à célébrer cet héritage".
 
Boris Pupul et Charlotte Adigéry, en concert aux Inrocks Festival à la Gaîté Lyrique à Paris, le 5 mars 2020.

Si la musique, étroitement mêlée à ses origines antillaises, a toujours fait partie de sa vie, la carrière de Charlotte Adigéry a décollé lors de sa rencontre avec les papes de la musique électronique belge, Stephen et David Dewaele (2manyDJs, Soulwax). Avec eux, elle participe à la bande originale du film Belgica (2016). S'en suit la sortie de son premier EP sous l'avatar WWWater :
 

L'inspiration m'est venue de la Martinique. J'étais allée aux Gorges de la Falaise dans le Nord et la puissance de l'eau m'a tellement inspirée que j'ai nommé mon projet WWWater ("eau" en anglais, NDLR) et mon EP La Falaise.

  

Racisme et ignorance

La première impression était donc la bonne : Charlotte Adigéry est fluide, fluctuante, mystérieuse. La liberté qui la caractérise aujourd'hui s'est forgée, entre autres, dans la douleur d'un métissage offert à une société belge pas tout à fait remise de son passé colonial. "Jusqu'à mes 16 ans, je voulais être blonde avec les yeux bleus", confiait-elle récemment. Aujourd'hui, Charlotte joue avec son apparence en collectionnant notamment les perruques comme elle le chante avec humour dans High Lights
 

Ça n'a pas toujours été facile et ça ne l'est toujours pas. Il y a du racisme, de l'ignorance. On se trouve souvent à devoir justifier qui on est et c'est fatiguant. Mais on n'est pas frustré à cause de ça. Avec la musique, c'est une façon de montrer sans que ce soit conscient qu'un humain est un humain, qu'importe ton origine.

  

Du zouk love à Chassol

Sans se poser comme un modèle, Charlotte Adigéry rêve de voir émerger d'autres artistes antillais dans la scène indé, mais aussi amener cette dernière aux Antilles. "Je crois qu’il y a encore beaucoup d’espace pour la diversité dans la musique antillaise" confie celle qui se dit "tellement fière" de ce qui a été fait par le passé.

Mais si Charlotte Adigéry "love le zouk love, le kompa, le dancehall", elle se demande "où sont ces artistes qui cherchent à faire d'autres choses". Des talents comme Chassol, dont elle partage avec fierté la scène des Inrocks Festival. "La première fois que j'ai découvert sa musique, j'étais heureuse et je me suis sentie soulagée de voir une évolution."

Jouer un jour en Martinique ? "Ce serait un rêve", avoue Charlotte Adigéry. "Mais parfois j’ai un peu d’appréhension parce que ce qu'on fait est très différent. C'est pas que je sous-estime le public antillais, mais c'est très techno et il n'y a rien de similaire qui passe à la radio". Alors, en projet déjà, un clip réalisé à la Martinique. Et toujours l'art pour "faire évoluer" les choses. "Il y a une sorte de peur humaine de ne pas trop oser s’exprimer par peur d'être trop différent mais l'art est très puissant. Il peut faire tout ça."

BONUS : Charlotte Adigéry s'est prêtée au jeu du "Si tu devais choisir...", regardez !