"Cherche boucher désespérément": des formations réservées aux Domiens

Onze habitants des départements d'Outre-mer sont en formation en Savoie jusqu'au 9 juillet.
"Grande surface cherche boucher désespérément" ! De nombreuses entreprises peinent à recruter, faute de candidats, malgré un nombre élevé de demandeurs d'emploi. Problème : dans les départements d'Outre-mer, peu de formations existent. Un programme sur-mesure veut y remédier.
Le couteau bien affûté et le tablier ajusté, Weldy Cinaba s’attaque à ses suprêmes de volaille. Ce Guyanais de 21 ans n’avait pourtant jamais imaginé être boucher un jour : "je voulais devenir maçon (…) et puis j’ai changé d’avis." Après un service civique, le Cayennais a tenté sa chance. Le voilà engagé dans un CPROM, Contrat de Professionnalisation Adapté aux Outre-mer. D’abord, pendant trois mois à la Maison Familiale Rurale Le Fontanil en Savoie. Puis dans une grande surface de Guyane.
 

Réservé aux DOMs

Depuis début avril, onze élèves sont formés à Saint-Alban-Leysse : huit Réunionnais, deux Martiniquaises et un Guyanais. Une première session, un peu plus tôt dans l’année, avait également accueilli des Guadeloupéens. D’ici quelques mois, Mayotte devrait envoyer ses premiers apprentis.

Weldy mais aussi Corinne, Frederico, Rudy, Willie, Emilie… Pas de profil-type mais onze parcours singuliers. Leur seul point commun : être originaires d'un département qui ne propose pas cette formation, reconnue par la profession. D’ici un an, ils passeront un examen à l’Institut national de la viande pour décrocher un CQP, un certificat de qualification professionnelle.
Huit Réunionnais, deux Martiniquaises et un Guyanais suivent la formation "technicien boucher" à Saint-Alban-Leysse.
 

Pas de profil-type

Mais d’abord, trois mois de formation pratique et théorique en Savoie. Toutes les viandes sont étudiées, manipulées, transformées. Juste à côté de Weldy, Lauryane achève de barder son rôti de porc. Après seulement six semaines, elle a un niveau équivalent à celui d'une élève de fin de première année de CAP. À 22 ans, la Martiniquaise excelle, selon son formateur.
Lauryane donne un coup de pouce à Rodolphe, lors de l'atelier "bardage et ficelage du rôti de porc".

"Voyez par vous-même, un rôti comme ça, est-ce que vous avez envie de l’acheter ou pas envie de l’acheter?, s’exclame Jean-Pierre Soulier. Il est bien taillé, bien ficelé. Il n’y a pas un côté qui fait 10 cm l’autre 5. Le rôti, il est propre. Moi, c’est un rôti que je mets dans une vitrine sans problème."
 

"Tout pour réussir"

Une bonne nouvelle pour la grande surface de Fort-de-France où travaillera Lauryane à son retour. Chaque apprenti est assuré d'avoir un contrat de professionnalisation dans son département d'origine. 

À 43 ans et après plusieurs vies professionnelles, Frédérico s’est tourné vers la boucherie qu’il a toujours eue dans un coin de la tête. Sélectionné à La Réunion pour intégrer le programme, il ne tarit pas d’éloge envers l’équipe pédagogique : "On a des profs qui sont toujours derrière nous, on est comme chouchoutés ici. On a tout pour réussir !"
Des excursions sont organisées pour que les élèves découvrent la région.
 

Un emploi durable à la clé

La formation se poursuit jusqu’au 9 juillet. Ensuite, les élèves rentreront dans leurs départements respectifs. Ils travailleront une dizaine de mois en grande surface avant de passer leur examen final. Pendant cette période, ils seront suivis à distance par leurs formateurs. Si tout se passe bien à l’examen final, ils décrocheront un emploi durable dans leur département.
Après 26 ans passés à travailler en tant que boucher, Jean-Pierre Soulier est devenu formateur.
 

Derrière ce programme, un organisme spécialisé dans la formation professionnelle Outre-mer. Opcalia, un OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agréé) présent dans les cinq DOM. Si tout est piloté de Paris, l'apprentissage, lui, est sur-mesure. "On part bien des besoins des entreprises et de la culture métier propre aux DOMs, explique Nathalie Saumon. Par exemple, sur le métier de boucher, on est allés adaptés le parcours de formation sur les spécificités du métier dans les territoires." Un focus a ainsi été fait sur la découpe de cabris.

C'est la première opération emploi inter-DOM, créé suite à la loi "égalité réelle", en partenariat avec le ministère des Outre-mer. Parce qu'il serait trop coûteux d'ouvrir chaque formation localement, il a été décidé de lancer des programmes dans l'hexagone et de financer la venue des candidats des DOMs. Poissonnier, mécanicien poids lourd, technico-commercial en automobile... Une dizaine de métier en tension ont été identifiés, des contrats de professionnalisation seront proposés, dans les prochains mois.

 

"Un projet novateur"

Pour la formation boucherie, Opcalia a sollicité la Maison Familiale Rurale Le Fontanil de Saint-Alban-Leysse, à quelques kilomètres de Chambéry. L'établissement, spécialisé dans les métiers de l'alimentation et de la restauration, ne reçoit habituellement pas d'adulte, mais son directeur a été séduit par le projet qu'il juge "novateur". "Il y a une véritable sélection au départ donc on sait qu’ils ont la motivation pour réussir, explique Nicolas Jacob. Et ils sont très curieux, très assidus et les différences d’âge font qu’il y a une certaine maturité."

Pour le CPROM, le projet professionnel prend le dessus sur le projet éducatif. La formation a beau ne durer que trois mois, les élèves en sortent aussi armés que ceux qui suivent des apprentissages plus traditionnels. D'autant qu'ils continueront de perfectionner leurs techniques en entreprise, pendant plusieurs mois, accompagnés, à distance, par leurs formateurs.

Regardez le reportage de France Ô - La 1ère : 
©la1ere