Chikungunya, "cette épidémie ne peut pas être comparée à celle de la Réunion"

Les opérations de nettoyage se poursuivent (ici en Martinique) tandis que les scientifiques ne savent pas si le nombre de cas, actuellement stabilisé, va repartir à la hausse ou à la baisse.
Le chikungunya a d'ores et déjà touché 15% de la population des Antilles, annonçait hier Marisol Touraine. Rencontre avec Alain Blateau, ingénieur épidémiologiste de la CIRE (Cellule Interrégionale d'épidémiologie) Antille-Guyane basé en Martinique, qui recueille les chiffres liés à l'épidémie.
 La1ère.fr : La ministre de la Santé Marisol Touraine a qualifié l’épidémie de "majeure". Sommes-nous face à un épisode inédit ? 
Alain Blateau, ingénieur épidémiologiste de la CIRE Antille-Guyane : Il s'agit de la première épidémie de chikungunya qui intervient aux Antilles. Nous avions été alertés en 2006, lorsque quelques cas avaient été importés ici lors de l’épidémie qui a sévit à la Réunion. Cette fois, nous sommes face à une arrivée exceptionnelle d'un virus venu d'Asie, qui a d'abord contaminé les départements français d'Amérique avant de s'étendre à l’ensemble des Caraïbes. Donc il s'agit bien d'un événement majeur sur le plan de la santé publique. On compte actuellement plus de cas que la plus grosse épidémie de dengue qui a eu lieu en 2010, qui avait touché 40.000 personnes en Martinique et 40.000 en Guadeloupe.
 
Les courbes de progression de l’épidémie sont en hausse. Cela signifie-t-il que le pic de l’épidémie est encore devant nous ?
Ce que l’on peut voir sur les graphiques, c’est qu'il y a cinq-six semaines, un pic a eu lieu. Depuis, il y a une légère décroissance du nombre de cas, qui est subtile. Nous qualifions donc la phase actuelle de plateau : on ne sait pas si le nombre de personnes touchées par le virus va repartir à la hausse ou à la baisse. Il faut garder à l’esprit que la saison des pluies, période où les moustiques peuvent se reproduire le plus facilement, n’a pas encore commencé.

Nombre hebdomadaire estimé de cas cliniquement évocateurs de chikungunya vus par les médecins généralistes en Martinique (à gauche) et en Guadeloupe (à droite) depuis décembre 2013.


117.000 cas ont déjà été enregistrés. L’épidémie risque-t-elle d’atteindre l’ampleur de celle de la Réunion en 2006, qui avait touché 266.000 personnes et fait 250 morts ?
On fait constamment référence à l’épidémie de La Réunion, pour en tirer les leçons. Mais la situation des Antilles est complètement différente : la population a un profil différent, est différemment répartie sur le territoire, le virus n’est pas le même et la météo non plus. L’épidémie évolue également de façon différente selon les cinq territoires de notre zone (Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Martinique, Guadeloupe, Guyane, ndlr) . Il est donc trop tôt, et la situation est trop diversifiée pour être comparée directement à celle de La Réunion en 2006. 
 
Malgré ces différences avec l’épidémie de La Réunion, est-il possible de retenir quelques éléments de comparaison ?
35% de la population réunionnaise avait été touchée en 2006, et le pic de l’épidémie avait été atteint quand 17% de la population avait attrapé le virus. Pour l'épidémie actuelle, la part de la population touchée s’élève à 12% en Martinique et 15% en Guadeloupe. A noter que notre système de surveillance compte les patients qui ont consulté un médecin. On estime, avec beaucoup de prudence, que pour une personne qui a vu un médecin, une personne n’en a pas consulté. 
 
Jusqu’où l’épidémie s'est-elle implantée ?
L’épidémie s’est diffusée à toutes les Îles des Caraïbes, et les continents commencent à être touchés. Les deux premiers cas autochtones aux Etats-Unis ont été enregistrés la semaine dernière, et d’autres cas font leur apparition au Costarica, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. 
 
Et quels sont les risques pour la France hexagonale ?
Pour que l’épidémie se développe, elle a besoin de son vecteur : le moustique-tigre. Or celui-ci est uniquement présent dans le sud de la France. Il est donc impossible que l’épidémie se développe dans les deux-tiers nord du pays. Par contre, dans le sud de la France, si des personnes porteuses du virus se font piquer par un moustique-tigre, les moustiques seront alors contaminés et transmettront ce virus à d’autres personnes : il s’agirait alors de cas autochtones. Mais pour l'instant, les seuls cas enregistrés correspondent à des personnes qui ont attrapé le chikungunya en voyageant.