De la colère, c'est ce qui transparaissait de l'intervention du député martiniquais Jiovanny William (GDR/Nupes) ce mardi après-midi à l'Assemblée nationale.
Depuis que les juges d’instruction ont prononcé ce 2 janvier un non-lieu dans l'enquête sur l'empoisonnement des Antilles au chlordécone, les réactions d'incompréhension et d'exaspération se multiplient du côté des Martiniquais et Guadeloupéens, des planteurs de banane mais aussi des élus locaux.
Une incompréhension que tient à relayer le parlementaire dès le début de son intervention : "Cette décision n'est pas comprise par la population qui a été empoisonnée à cause d’une décision gouvernementale autorisant la prorogation de l'utilisation de cette molécule de la mort."
"Vous êtes le premier maillon"
Le chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies des Antilles contre les charançons, a été interdit en France en 1990 mais a continué à être autorisé en Martinique et en Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu'en 1993. Il a provoqué une pollution importante et durable des deux îles.
"Vous êtes le premier maillon dans cette chaine de responsabilités, a dénoncé Jiovanny William. Cessez donc de nous dire que 92 millions [d'euros, NDLR] sur sept ans suffisent et suffiront à pallier vos responsabilités. Cessez donc de couvrir vos erreurs par des plans qui ne feront qu'attiser l'incompréhension du peuple en souffrance déjà."
"Quand allez-vous indemniser la population ?"
Le député martiniquais a poursuivi son intervention en demandant à ses collègues parlementaires "d’être au rendez-vous de l’Histoire".
Il a terminé en demandant au gouvernement : "Quand allez-vous prendre la mesure de vos responsabilités ? Quand allez-vous indemniser toute la population touchée dans sa chair et dans son âme par cet empoisonnement et cette non reconnaissance qui nous tue aussi un peu plus chaque jour ?" Une question que l'on peut entendre dans la vidéo ci-dessous.
"Notre priorité : protéger leur santé"
Jean-François Carenco, le ministre délégué aux Outre-mer, a répondu au député martiniquais en reconnaissant d'emblée que la pollution au chlordécone "est un sujet très grave qui suscite l'angoisse et parfois de la colère" chez les Antillais.
Il a ensuite assuré que les priorités du gouvernement sont "de protéger leur santé, d’aider les secteurs économiques impactés, et renforcer les recherches".
"Nous devons continuer à avancer dans le chemin ouvert pour la première fois par le président de la République en 2018, qui est le premier à avoir reconnu la responsabilité de l'État, a souligné le ministre. Sous son impulsion, des avancées fortes ont déjà été obtenues."
Il a ainsi cité la "reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle", "l'analyse gratuite du taux de chlordécone dans le sang pour toute la population ainsi que des sols pour les agriculteurs et les particuliers", "la capacité de réduire par deux la teneur de chlordécone dans le sang en six mois en consommant des produits non contaminés"...
Visite en Martinique dès jeudi
Jean-François Carenco a tenu également à souligner l'"effort national de la recherche" notamment sur la fertilité féminine et la dépollution des sols. "Ce sont ainsi une quarantaine de laboratoires de recherche dans l'Hexagone et dans les Outre-mer qui sont mobilisés."
Cependant, il admet qu'il reste "beaucoup à faire" : "Et nous devons le faire." Il a ainsi annoncé qu'il se rendra en Martinique à compter de ce jeudi 12 janvier. "J'aurai l'occasion d'en parler avec l'ensemble des acteurs locaux."
Alors qu'il lui restait quelques secondes de parole, Jiovanny William a repris le micro et cité Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984 pour son combat pacifique contre l'apartheid en Afrique du Sud : "Il n’y a pas de paix sans justice. Il n’y a pas de paix sans responsabilité."