La "Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe", présidée par l'historien Benjamin Stora, a remis lundi son rapport à la ministre des Outre-mer Ericka Bareigts.
La plupart des membres de la Commission présidée par Benjamin Stora étaient présent à la remise officielle du rapport à Ericka Bareigts, lundi soir au ministère des Outre-mer. Quelques parlementaires avaient également fait le déplacement, dont Serge Letchimy, député de la Martinique, Antoine Karam, sénateur de Guyane, et Serge Larcher, sénateur de la Martinique.
« Nous avons essayé de mettre à jour le nombre exact des personnes décédées lors de tous ces événements, mais aussi le nombre de blessés par balles » a déclaré l’historien Benjamin Stora, en introduisant les travaux de la Commission. « Nous étions dans un moment très particulier, celui de la décolonisation des années soixante, de la construction des mouvements indépendantistes, dans l'environnement international de la révolution cubaine, de la guerre d’indépendance en Algérie, etc. Il fallait faire une mise en contexte historique pour arriver à nos conclusions. »
Les travaux de la Commission portaient sur les émeutes survenues entre le 20 et le 23 décembre 1959 en Martinique ; les événements relatifs aux conditions de l’accident de l’avion d’Air France survenu le 22 juin 1962 en Guadeloupe (où sont morts notamment les autonomistes Justin Catayée et Albert Béville) ; et les émeutes survenues entre les 26 et 28 mai 1967 en Guadeloupe, qui firent de nombreux morts. Le rapport, qui comporte 100 pages, est divisé en trois parties et contient des annexes et une bibliographie.
La consultation des archives a permis d’approfondir plusieurs questions, plus particulièrement les réactions et les hésitations du gouvernement, la dissolution de la Compagnie républicaine de sécurité installée en Martinique ainsi que les conséquences de ces « Trois Glorieuses » martiniquaises (expression du recteur Alain Plenel révoqué alors pour ses déclarations favorables à la rébellion) qui ne relèvent pas de ce rapport, comme la réorganisation des forces militaires aux Antilles et en Guyane, ainsi que la mise en place du plan Némo et du SMA1. Du point de vue de l’État, l’émeute provoque directement la réorientation d’une politique pour l’Outre-mer plus répressive d’un côté, et plus volontariste en matière économique, sociale et démographique de l’autre, afin d’éviter que ne se reproduisent des émeutes qui traduisent le sentiment d’une population en situation de misère sociale et susceptible de répondre à des discours politiques plus radicaux. »
Nous avons par ailleurs constaté que les archives sur les événements du 27-28 mai 1967 à Pointe-à-Pitre avaient été, sur le moment-même, produites en omettant ce qui s’était passé à partir du moment où les tirs au pistolet-mitrailleur étaient intervenus ; nulle part ne figure le nombre définitif de morts, après l’estimation préfectorale de sept morts, puis de huit morts par le commissaire Gévaudan le 20 juin 1967. Nous n’avons pas réussi à prouver que le nombre de morts, très élevé, ait pu atteindre le chiffre de 87 (1985) et jusqu’à 200 (2009). Le relevé des décès envoyé par les communes de Guadeloupe n’a pas donné de résultats tangibles, aucun pic de décès n’ayant été enregistré en mai-juin 1967. Les forces de l’ordre de toute nature ont été engagées : police locale, gendarmerie mobile, CRS, armée, à des postes et des moments divers, leur rôle respectif ayant été bien répertorié désormais grâce à l’ouverture des archives par dérogation et déclassification. »
« Nous avons essayé de mettre à jour le nombre exact des personnes décédées lors de tous ces événements, mais aussi le nombre de blessés par balles » a déclaré l’historien Benjamin Stora, en introduisant les travaux de la Commission. « Nous étions dans un moment très particulier, celui de la décolonisation des années soixante, de la construction des mouvements indépendantistes, dans l'environnement international de la révolution cubaine, de la guerre d’indépendance en Algérie, etc. Il fallait faire une mise en contexte historique pour arriver à nos conclusions. »
"La France a rendez-vous avec son histoire"
« Aujourd’hui, la France a rendez-vous avec son histoire » a souligné la ministre des Outre-mer Ericka Bareigts. « Je crois qu’un pays s’honore toujours à apaiser sa mémoire, notamment en regardant lucidement son passé. C’est une preuve de courage, c’est une preuve de maturité. » « Cette Commission est historique à plus d’un titre ! Historique par son sujet d’étude mais également historique car les précédentes commissions historiques initiées par l’Etat n’avaient concerné jusqu’alors que la Seconde Guerre mondiale », a précisé la ministre. « Aucune commission historique ne s’était intéressée aux Outre-mer. C’est donc une grande première de découvrir aujourd’hui les fruits du travail d’une commission historique portant sur des événements étant survenus au sein des Outre-mer. »Les travaux de la Commission portaient sur les émeutes survenues entre le 20 et le 23 décembre 1959 en Martinique ; les événements relatifs aux conditions de l’accident de l’avion d’Air France survenu le 22 juin 1962 en Guadeloupe (où sont morts notamment les autonomistes Justin Catayée et Albert Béville) ; et les émeutes survenues entre les 26 et 28 mai 1967 en Guadeloupe, qui firent de nombreux morts. Le rapport, qui comporte 100 pages, est divisé en trois parties et contient des annexes et une bibliographie.
Les principales conclusions du rapport
Martinique, décembre 1959
« Dans le contexte des risques de contagion de la révolution cubaine dans l’espace des Caraïbes redoutés par certains services gouvernementaux et le préfet de Martinique, les émeutes des 20, 21 et 22 décembre 1959 à Fort-de-France ont été à nouveau scrutées par la commission. Dans ce cadre, de nouveaux témoignages ont pu être recueillis en particulier ceux de deux personnes qui accompagnaient l’un des tués, le jeune Marajo, âgé de 15 ans. Longtemps silencieuse, la mémoire de décembre 1959 a commencé et continue à se délier. On ne connaît cependant pas encore avec certitude le statut des trois victimes, émeutiers, simples curieux ou passants.La consultation des archives a permis d’approfondir plusieurs questions, plus particulièrement les réactions et les hésitations du gouvernement, la dissolution de la Compagnie républicaine de sécurité installée en Martinique ainsi que les conséquences de ces « Trois Glorieuses » martiniquaises (expression du recteur Alain Plenel révoqué alors pour ses déclarations favorables à la rébellion) qui ne relèvent pas de ce rapport, comme la réorganisation des forces militaires aux Antilles et en Guyane, ainsi que la mise en place du plan Némo et du SMA1. Du point de vue de l’État, l’émeute provoque directement la réorientation d’une politique pour l’Outre-mer plus répressive d’un côté, et plus volontariste en matière économique, sociale et démographique de l’autre, afin d’éviter que ne se reproduisent des émeutes qui traduisent le sentiment d’une population en situation de misère sociale et susceptible de répondre à des discours politiques plus radicaux. »
Guadeloupe et Guyane, juin 1962
« L’accident d’avion survenu dans la nuit du 22 juin 1962 donne lieu, comme toujours dans le cas d’un accident, à une commission d’enquête. Elle a travaillé très régulièrement pendant six mois avec des experts de tous ordres et a remis son rapport le 12 décembre 1962. Contrairement à ce qui avait été annoncé, le Premier ministre décide fin janvier 1963 que le rapport ne serait pas rendu public, pour ménager la haute fonction publique et couvrir différentes directions du ministère des Travaux publics et des Transports, notamment celle de la Navigation aérienne (pour des défaillances de l’équipement au sol) et la compagnie Air France (pour l’organisation du service des pilotes et la fiabilité des instruments de bord), mises en cause dans le rapport final de la commission signé par l’inspecteur général Bonte. La responsabilité du pilote (décédé dans l’accident) était également engagée. Ce secret d’État (qui a perduré jusqu’en 2012) sur les conclusions du rapport final a contribué à donner corps à une rumeur d’attentat (analysée dans ce rapport), compte tenu de la présence dans l’avion, outre de l’équipage et d’une centaine de passagers avec une forte proportion de latino-américains, de trois autonomistes des Antilles et de la Guyane, Albert Béville, Justin Catayée, député de Guyane, et Roger Tropos. Dans les procédures judiciaires qui ont suivi à la demande de familles de victimes, en l’absence du rapport sur les causes de l’accident, seul le pilote a été mis en cause et les plaignants ont été déboutés du fait du décès de ce dernier. »Guadeloupe, mai 1967
« Les événements de Guadeloupe se déroulent dans le contexte des émeutes sanglantes de Djibouti juste après le référendum du 19 mars 1967 (avec 60 % de voix en faveur du maintien du territoire des Afars et des Issas dans la République française). Après les résultats, les partisans du « non » manifestent et l’intervention des militaires français dégénère en émeutes, dont le bilan est de onze morts et de nombreux blessés parmi les rebelles. En Guadeloupe, en mars, comme en mai 1967, les événements de Djibouti sont évoqués dans les manifestations. Par ailleurs, dès mars 1967, le préfet de Guadeloupe Pierre Bolotte a instruit à charge la responsabilité du GONG dans les désordres, y compris dans ses « Mémoires » écrites en 2000, alors que deux enquêtes successives de la police judiciaire nationale et de la DST en avril 1967 (pour les événements du 22-23 mars à Basse-Terre) et en juin 1967 (le commissaire Gévaudan pour les événements de mars et de mai 1967) ont réfuté la théorie de chef d’orchestre clandestin joué par le GONG.Nous avons par ailleurs constaté que les archives sur les événements du 27-28 mai 1967 à Pointe-à-Pitre avaient été, sur le moment-même, produites en omettant ce qui s’était passé à partir du moment où les tirs au pistolet-mitrailleur étaient intervenus ; nulle part ne figure le nombre définitif de morts, après l’estimation préfectorale de sept morts, puis de huit morts par le commissaire Gévaudan le 20 juin 1967. Nous n’avons pas réussi à prouver que le nombre de morts, très élevé, ait pu atteindre le chiffre de 87 (1985) et jusqu’à 200 (2009). Le relevé des décès envoyé par les communes de Guadeloupe n’a pas donné de résultats tangibles, aucun pic de décès n’ayant été enregistré en mai-juin 1967. Les forces de l’ordre de toute nature ont été engagées : police locale, gendarmerie mobile, CRS, armée, à des postes et des moments divers, leur rôle respectif ayant été bien répertorié désormais grâce à l’ouverture des archives par dérogation et déclassification. »
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