Pour cette joaillière, d'origine martiniquaise par son père, cette occupation n'est pas seulement créative : "Ça me permet d’aborder le sujet des femmes, des Antilles, de la culture esclavagiste et post-esclavagiste." Seule avec son appareil photo, elle joue avec les rais de lumière qui traversent l'appartement parisien où elle est confinée pour capturer l'instant et l'atmosphère.
Domination et exotisation
Adeline Rapon s'inspire de cartes postales collectées sur Internet et de photographies d'époque récoltées sur des sites de généalogie antillaise. Le choix de la période n'est pas anodin, tout comme l'histoire derrière ces photos prises dans des sociétés ancrées dans le colonialisme.Toutes les cartes postales sont des points de vue quand même dominants. Ce sont des femmes qui posent certainement un peu contre leur volonté et il faut en avoir conscience. Ça se voit dans certains regards un peu perdus, apeurés. Je ne me vois pas jouer une peur factice que je ne connais pas, mais il est important de souligner que ce sont des photos qui ont un point de vue qui est extrêmement raciste et exotisant.
Universalité
Il y a dans ces portraits une quête de soi que l'on retrouve chez de nombreux descendants de ces métissages chargés d'histoires. Une recherche "sur [s]a propre réalité" commencée il y a quelques années, après près de 20 ans sans mettre les pieds en Martinique. "J'y suis retournée en septembre dernier pour redécouvrir l'île par moi-même", raconte Adeline Rapon, "et créer ma propre histoire avec l'île, autre qu'aller à la plage et retrouver les grands-parents."Je me suis rendue compte de mon attachement à l'île tout comme je me suis rendue compte que j’étais terriblement métropolitaine. C'est un travail très long mais qui est chouette. Déjà quand j'étais petite, je ramenais des CD de zouk dans les boums. Là, j'ai envie de faire la même chose : que les gens soient au courant de la culture antillaise. Qu'elle n'est pas ce que les gens disent, que ce n'est pas une culture morte.
De Paulette Nardal à Malavoi
Une culture riche de personnalités comme Paulette Nardal, journaliste et femme de lettres martiniquaise, ou comme Jacob Desvarieux, fondateur du groupe Kassav', qui sait mettre en avant "le résultat culturel de ces mouvements de population liés au colonialisme, dont on ne parle pas et qu'on ne célèbre pas".Alors avec chaque photographie, une par jour, Adeline Rapon partage une musique, "parce qu'il est temps que les gens arrêtent de nous sortir sans arrêt Zouk Machine (respect quand même à elles)", note-t-elle sur son compte Twitter. Dans ses sélections, Dédé Saint-Prix, Perfecta, Eugène Mona, Lycinaïs Jean et même RyCo Jazz.
En stock également, des playlists de "musique créole des années 30-40", "un dossier de photos anciennes de la Guadeloupe et de la Martinique" sur Pinterest et un appartement avec "de la place", "des draps, des torchons et des objets à détourner". Les fanm fò ont donc encore quelques beaux jours de confinement devant elles.