Ils sont plus de 300 à espérer revenir en Polynésie. Quelques 300 Polynésiens ou résidents et des dizaines d’étudiants sont bloqués dans l’Hexagone. Le gouvernement de la Polynésie et le Haut-commissariat ne leur donnent pour l’instant aucune perspective de retour.
Britte Neagle est arrivée le 3 mars à Paris avec son compagnon. Elle se faisait une joie d’assister au mariage de sa fille à Valence. Mais le futur marié militaire a dû partir en mission plus tôt que prévu à cause du Covid-19. Le mariage a été reporté.
"On se sent abandonnés et considérés comme des pestiférés", déclare Marie Marti. Avec son mari, Roland, elle était venue rendre visite à sa belle-mère dans l’Hexagone en février. Ils devaient repartir en Polynésie le 20 mars. "Le vol a été annulé et il a été impossible de trouver un autre vol", déclare-t-il.
Britte Neagle qui fait partie du même groupe Facebook Résidents de Polynésie bloqués en France que Roland et Marie a elle aussi écrit à droite et à gauche. "J’ai écrit avec le groupe au Président de la Polynésie, aux ministres locaux. On n’a reçu aucune réponse. J’ai même écrit à Emmanuel Macron. On m’a répondu mais ça n’a pas résolu le problème".
Ils sont ainsi plus de 300 Polynésiens ou résidents et plusieurs dizaines d’étudiants à espérer rentrer sur le Fenua. Mais les jours passent et rien ne se passe. Gilles Osmont, informaticien retraité à Tahiti ne ménage pas ses efforts pour faire évoluer la situation. Lui et bien d’autres ont mis en place le groupe Facebook qui rassemble déjà 2470 membres. Ils essaient de faire connaître leur mésaventure aux médias.
"Je ne comprends pas. Pourquoi ne pas faire un plan de rapatriement comme en Nouvelle-Calédonie ? L’argument du président de la Polynésie c’est de dire qu’il n’y a pas de places pour nous placer en quarantaine à notre arrivée. Mais ce n’est pas vrai, il y a des hôtels en Polynésie !", s'exclame Gilles Osmont.
Depuis le début de la crise, le gouvernement de la Polynésie procède au rapatriement des personnes évacuées sanitaires grâce à la rotation mise en place tous les dix jours par Air Tahiti Nui pour le fret. Les touristes bloqués en Polynésie ont pu également être rapatriés. En revanche, les quelques 300 Polynésiens livrés à eux-mêmes dans l’Hexagone n’ont pour l’instant aucune perspective de retour proche.
"C'est du bricolage"
Gilles Osmont comme d’autres ont interpellé les autorités locales de Polynésie, le haut-commissariat, en vain... Ainsi que les députés. "Les trois députés de Polynésie ont plaidé notre cause via la délégation polynésienne à Paris, précise-t-il. Des aides ont été débloquées. Moi j’ai eu 100 euros, dit-il. Mais c’est du bricolage. Plus on tarde et plus le problème grossit. On bouffe nos économies et personne ne fait rien".
Britte Neagle a elle aussi rempli un formulaire de la délégation polynésienne à Paris, mais elle n’a reçu aucune aide. "Je ne pense pas que Monsieur Fritch soit responsable de la situation, plaide Britte, mais il faut qu’il pense à nous. On ne peut pas rester jusqu’en juillet ici".
Cette Tahitienne a beau positiver, se réjouir de passer du temps avec ses deux petits enfants de 10 mois et quatre ans à Valence, l’avenir lui semble bien compliqué. "Je suis protestante, croyante pratiquante, ça m’aide beaucoup dans cette situation", confie Britte.
Déménagement
Pour Emmanuelle Lenoir, âgée de 39 ans, c’est comme si le ciel lui était tombée sur la tête. Cette Polynésienne avait prévue de s’installer à Tahiti avec son fils et son mari. Elle avait tout préparé et venait chercher sa famille en janvier. L’appartement en région parisienne a donc été rendu, son fils inscrit à l’école de Papara.
Juriste de formation, Emmanuelle avaient des perspectives d’emploi à Tahiti, de même que son mari. Son grand-père de 86 ans se faisait une joie de retrouver sa petite-fille sur le Fenua. Bref une nouvelle vie devait commencer. Le vol était prévu sur Frenchbee le 20 mars.
Mais la suite a tourné au cauchemar. "Le vol a été annulé sans espoir de report. On s’est retrouvés sans logement. Heureusement la famille nous a hébergés les premières semaines en Vendée. Il a fallu réinscrire mon fils en catastrophe à l’école en région parisienne pour qu’il ne soit pas déscolarisé. Pendant ce temps tout notre déménagement est arrivé au port de Papeete et nous devions continuer à payer le loyer de l’appartement à Papara".
Emmanuelle se dit complètement désemparée. "Tous les pays ont rapatrié leurs populations, mais pas nous. Comment le président de la Polynésie peut-il nous dire qu’il n’y a pas de capacité d’accueil ? J’ai toujours été fière d’être Tahitienne, mais là, en ce moment, franchement, j’ai honte", dit-elle.
Emmanuelle Lenoir suit de près le groupe Facebook qui regroupe les Polynésiens bloqués dans l’Hexagone. "Ça nous fait du bien, mais en même temps c’est très dur car il y a des gens en souffrance dans des situations vraiment impossibles. On s’entraide, mais c’est éprouvant".
A la délégation de la Polynésie française à Paris contactée par Outre-mer la 1ère, on est bien conscients du problème. "La délégation travaille avec le délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d'Outre-mer, Maël Disa. Désormais les Polynésiens qui sont en grande difficulté peuvent se retourner vers la mairie où ils résident pour demander des aides alimentaires et au logement".
A Paris, le standard de la délégation est "submergé" d’appels. Les services invitent les Polynésiens ou résidents en souffrance à leur écrire à cette adresse : secdel@delegation.gouv.fr ou à les contacter sur messenger à travers la page Facebook de la délégation.
La délégation polynésienne ne fait pas mystère de la situation. "Le ministre de la Santé en Polynésie a déclaré que la priorité, ce sont les évacués sanitaires et le fret médical". Les Polynésiens et résidents bloqués dans l’Hexagone ne sont donc pas prêts de rentrer chez eux, à moins d’être enfin entendus.