Covid-19 et spectacles musicaux : "Il faut se projeter en avant pour ne pas mourir"

Concert de MizikOpéyi sur la scène du Tropiques-Atrium à Fort-de-France en Martinique
Les interventions du président Emmanuel Macron et du Premier ministre Jean Castex n’ont pas permis d’en savoir plus quant à la reprise des concerts. Producteurs de spectacles et/ou managers réagissent et témoignent de leur situation en période de Covid-19.
 

Gilles Guilon, producteur de spectacles et de concerts, basé en Martinique


« Ce n’est pas rassurant. Nous ne sommes pas "essentiels" depuis mars dernier. Mon chiffre d’affaire a chuté de 40%. Je bénéficie des aides de l’état : 1500 euros par mois, plus un pret à taux zéro. Mais c’est médiocre. Ca représente moins de 20% de mon chiffre d’affaires. J’aimerais plutôt que nos artistes travaillent. » Après l’intervention télévisuelle, mardi dernier d’Emanuel Macron, Gilles Guilon  producteur de spectacles, ne décolère pas. Toujours pas d’annonce concernant la reprise des concerts. « Oui l’état nous aide, mais nous ne sommes pas exonérés de nos charges. On dépense beaucoup d’argent quand on achète un spectacle. On avance de la trésorerie. Cette année, j’avais programmé les concerts aux Antilles de Marc Lavoine, de Michel Fugain, et les spectacles de l‘illusionniste Mesmer, de Kev Adams et de Viviane Emigré et Jean-Yves Rupaire, sans compter Génération zouk à Paris. » Le producteur de spectacles est en pourparlers avec les productions respectives pour de nouvelles dates. « On prépare l’après Covid. »
 

Bruno Messy, manager, entre autres, de Lycinaïs Jean, Daddy Yod, (Guadeloupe/Paris)


En huit mois, Bruno Messy, manager, entre autres, de Lycinaïs Jean, a vu ses revenus chuter de plus de 90%. Jusqu’à présent, il était éligible aux aides de l’Etat, et touchait depuis avril 1500 euros par mois. « J’ai environ 4.000 euros de frais mensuels, notamment avec mes bureaux parisiens. Ce soutien financier nous aidait alors que nous sommes dans une situation sinistrée. Mais ce mois-ci, je n’y ai plus droit sous prétexte que ma société, domiciliée en Guadeloupe, ne se trouve pas dans une zone où il est interdit de travailler. Pour nous les petits artisans, ces 1500 euros étaient les bienvenus. Heureusement que ma femme travaille. Ca nous aide à passer le cap. » Pour l’heure, Bruno Messy maintient les concerts de Lycinaïs Jean à la fin du mois de décembre à Paris et prépare la tournée à suivre qui doit les emmener au Canada. « Si on ne fait rien, on est mort » dit-il. « Si on ne se projette pas, il n’y a plus qu’à fermer boutique. C’est pour ça qu’on se bat ! »
 

Eric Basset (Aztec Music), Paris


Malavoi, Mario Canonge, Yoan, Soft c’est lui. En temps normal, Eric Basset organise entre 20 et 30 concerts par an. Cette année, il n‘a pu en maintenir que deux (Marijosé Alie en Martinique, et Saïna Manotte, au New Morning). « Ce sont entre 150.000 et 200.000 euros qui sont passés à la trappe. Mais les concerts sont surtout une activité complémentaire de soutien et de promotion des albums. » Ses principaux revenus, Eric Basset les tire de la vente des disques. « Sauf que les magasins sont fermés depuis 5 mois. Tout le monde le sait, la vente physique avait déjà chuté, la Covid 19 a accéléré la tendance. »

Et pour lui, l’effondrement des ventes physiques au profit du streaming constitue le principal danger pour les musiques traditionnelles. « Le problème du numérique est qu’il rémunère très peu. A chaque clic, le producteur ne touche que 0,003 cts. Si les jeunes peuvent écouter en boucle leurs morceaux favoris et générer des revenus, ce n’est pas le cas des adultes. Ils consomment de façon beaucoup moins compulsive. Le risque à terme est la disparition de la culture musicale traditionnelle antillaise qui ne sera plus rentable. »
 

Teddy Moutalica, producteur de spectacles et manager (La Réunion)

Fête agricole de Bras-Panon

« Depuis le début du confinement, j’ai subi une baisse d’activités de plus de 80%. En ce moment, je vis dans le stress. Chez moi, cela se traduit par des brûlures d’estomac, et je dors beaucoup. Le dimanche soir quand je vais au lit, je stresse à l‘idée du lundi. »
Jusqu’à présent, Teddy Moutalica n’avait pas connu une telle situation. Producteur de spectacles et manager, il réussissait à mener sa barque avec aisance à La Réunion, son île natale. Il y a encore trois ans, il manageait l’artiste Meddy Gerville. Et avant cette crise sanitaire, le festival de reggae de Saint-Leu, c’était encore lui. Tout comme le plateau musical de la foire agricole de Bras-Panon, la fête du Maloya, ou encore une partie du plateau du festival Liberté métisse de l’Etang Salé qui lui assurait 30% de son chiffre d’affaires. Des manifestations annulées pour la plupart, ou à la voilure réduite. « Habituellement, je travaille aussi avec les comités d’entreprises, les concerts des communes, pour la fête de l’abolition de l’esclavage, le 20 décembre. Tout ça aussi a été annulé. »

Et cette année catastrophique succède à une année 2019 passablement pertubée par les manifestations des gilets jaunes. « A La Réunion, le mois de décembre est le mois qui comporte le plus de manifestations culturelles. Mais en décembre 2018, nous avons pris de plein fouet les gilets jaunes. Chez nous, les manifestations se passaient plus calmement qu’à Paris. Mais par peur, en voyant les images en provenance de l’Hexagone, certains décideurs avaient préféré reporter leurs manifestations. J’ai donc passé la première partie de 2019 à essayer de trouver de nouveaux contrats pour le second semestre. J’ai travaillé un peu, puis la Covid est arrivée. »

En fait, c’est 2015 qui marque un tournant dans le secteur culturel en général, et pour Teddy Moutalica en particulier. Le lendemain de l’attentat du Bataclan à Paris, il organisait un gros concert avec la chanteuse cap-verdienne Mayra Andrade, et Meddy Gerville et Ziskakan en première partie. " Les réservations avaient été faites. Mais en voyant les images de Paris qui tournaient en boucle à La Réunion, le public a pris peur. Ensuite, la psychose des attentats s’est installée avec l’arrestation de personnes fichées S sur notre territoire. »

Pendant le premier confinement, Teddy Moutalica a touché pendant deux mois, 1500 euros d’aide de la part de l’Etat. « Mais quand on est sorti du confinement, l’Etat a serré la vis. Il a cessé d’aider les entreprises qui n’étaient pas à jour de leurs cotisations fiscales. Mais comment est-ce possible quand on ne peut pas travailler ? Du coup, je ne peux pas non plus postuler aux commandes publiques. Au final, je ne m’en sors pas. » Teddy n’a plus de réserves. Il vit de jobs dans la communication, et des aides de son entourage. D’où le stress et les brûlures d’estomac.