Crise Mayotte – Comores : quatre questions à Nadia Tourqui, représentante du Collectif de la 3e voie

Le port de Mutsamudu à Anjouan dans l'archipel des Comores.
Spécialiste des questions relatives à la lutte contre la pauvreté et la gouvernance, la Comorienne Nadia Tourqui a travaillé pendant 25 ans pour le PNUD. Elle anime aujourd’hui le Collectif de la 3e voie, qui cherche à trouver une solution au problème du conflit territorial sur Mayotte.
Originaire des Comores, Nadia Tourqui est spécialisée dans le domaine de la gouvernance, notamment sur les questions électorales, l'administration publique, la décentralisation et le développement local. Elle a travaillé durant vingt-cinq ans pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), aux Comores mais aussi en Côte d'Ivoire, en République démocratique du Congo et au Sénégal. Depuis 2015, elle est revenue aux Comores où elle a créé son propre bureau d'études. Parallèlement à ses activités professionnelles, elle est très investie dans la société civile, en particulier comme représentante du Collectif de la 3e voie, qui tente, entre autres, de trouver une solution au conflit territorial existant entre les Comores et la France au sujet de Mayotte. A l’occasion d’une tournée de sensibilisation en France, Nadia Tourqui répond aux questions de La1ere.

Pouvez-vous revenir sur la genèse du Collectif ?
Nadia Tourqui :
Le Collectif de la 3e voie est né dans le prolongement de l’appel lancé à l’occasion des Assises nationales qui se sont déroulées en février 2018 dans l’Union des Comores. Ces Assises nationales étaient supposées être un cadre inclusif de réflexion et d’échange sur les causes de l’échec des Comores à sortir du cercle vicieux de la pauvreté et de la mauvaise gouvernance. Il était attendu de cette initiative un bilan sans complaisance sur les 42 ans d’indépendance et des recommandations concrètes susceptibles de servir de base à un véritable projet de société. Ces Assises ont été initiées par la société civile et portées par le Mouvement du 11 août (M11) né à l’issue de l’incident qui a émaillé les Jeux de l’Océan Indien de 2015. La délégation des sportifs comoriens avait quitté les Jeux suite au défilé des athlètes mahorais sous le drapeau français, et ce en violation de la Charte des Jeux signée par tous les pays membres.
Le Collectif de la 3ème voie est un mouvement apolitique, ni pro-gouvernemental, ni pro-opposition afin de poursuivre la réflexion sur les thèmes clés qui touchent à l’avenir du pays et de pouvoir apporter un éclairage nouveau sur ces questions ainsi que des pistes de solution. Cette nouvelle crise de Mayotte est venue nous rappeler que ce thème central a fait partie des sujets sacrifiés lors des assises. Par conséquent, le Collectif tente de creuser la réflexion afin de pouvoir aider à dénouer ce conflit territorial qui n’a que trop duré.

Nadia Tourqui, représentante du Collectif de la 3e voie.
Quel est l’objectif de votre tournée en France ?
Nadia Tourqui (photo) : L’objectif de la tournée en France est de venir apporter une autre lecture à l’analyse du conflit territorial entre les Comores et la France, et notamment la lecture de la société civile comorienne. Pour nous société civile comorienne, le droit international est très clair et confirme l’appartenance de Mayotte aux Comores. A l’issue d’une manipulation de l’interprétation du référendum d’auto-détermination des peuples à se gouverner, la France a occupé illégalement l’île de Mayotte et a entrepris un projet de perversion de l’esprit de la communauté mahoraise et d’une réécriture de l’histoire de nos îles. Depuis 43 ans, on n’a fait que creuser le fossé entre les communautés mahoraises et autres communautés de l’archipel. Toutes les tentatives de déstabilisation des Comores - coups d’Etat, séparatisme, déportations - ont pris racine à Mayotte. Le creusement des inégalités entre Mayotte et le reste des Comores a de plus fait croire à un « eldorado » mahorais aux ressortissants des autres îles, comme il existe un « eldorado » moronien, justifiant ainsi l’afflux de familles et de jeunes à la recherche de meilleures conditions de vie. Parallèlement les inégalités de revenu au sein de l’île de Mayotte ont ghettoïsé la population autochtone par rapport aux résidents venus de  métropole, générant ainsi une insécurité grandissante et une frustration des Mahorais qu’ils déversent sur les autres communautés.

Quelles sont les réponses à apporter à cette situation selon vous ? 
Nadia Tourqui : La situation est extrêmement complexe puisque répondant à la fois à des préoccupations juridiques, politiques, économiques, sécuritaires et identitaires. La réponse à toutes ces dimensions requiert une compréhension des différents enjeux et un échelonnement dans le temps des étapes du rétablissement du droit international à savoir, à terme, la réintégration de Mayotte dans son giron naturel. A ce titre, le Collectif de la 3e voie appelle à un dialogue France-Comores pour trouver une solution pérenne au conflit territorial et aboutir à un accord gagnant-gagnant entre les deux pays. Il recommande que ce dialogue se fasse sous l’égide des Nations unies et de l’Union africaine. Le Collectif appelle également à un dialogue inter-comorien dans une dynamique de réconciliation nationale et de réflexion commune sur les bases nécessaires au vivre-ensemble. Le Collectif appelle enfin à une réparation par la France du préjudice subi à travers un fonds de développement des Comores qui servirait à mettre à niveau les quatre îles pour un développement durable et équitable.

Des mesures de court terme sont à prendre telles que la suppression du visa Balladur, la prise en charge humanitaire des «expulsés», la définition de mesures transitoires de gestion conjointe et concertée, ainsi que le développement de passerelles favorisant les échanges culturels, économiques et commerciaux visant à terme la réunification du pays. Le Collectif appelle à la mise en place d’une commission de règlement de la question de Mayotte représentative des forces vives de chaque île en vue de définir les éléments et le calendrier de cette réunification.
(Nadia Tourqui)


Ces propositions ont fait l’objet d’un mémorandum qui a été remis au ministre des Affaires étrangères comorien le 10 avril en vue d’alimenter les discussions en cours. Au cours de cette tournée, le Collectif entend sensibiliser sur la nécessité de trouver une solution pérenne au conflit territorial, seule condition pour préserver la stabilité et le développement de l’archipel. Elle entend à ce titre se faire entendre dans les médias, rencontrer les membres de la diaspora, notamment les élus franco-comoriens, et les autorités françaises.

Que faites-vous de la volonté des Mahorais de rester français à une écrasante majorité ? Comment pensez-vous les convaincre de participer à un dialogue inter-comorien et à une commission de règlement de la question de Mayotte que vous préconisez alors qu’ils se revendiquent comme Français et qu’ils ont voté par référendum pour le demeurer ?
Nadia Tourqui : Cette volonté des mahorais de rester français à une écrasante majorité est le résultat d'un conditionnement de l'opinion depuis plus de 40 ans. Comme on peut voir certains conditionnements dans la métropole tels que le chômage vient des immigrés ou que l'insécurité vient de l'islam. Ce sont des stéréotypes qui peuvent être puissants mais contre lesquels il faut se soulever. Pour changer cet état de fait, il n'y a que le dialogue et la démonstration par l'absurde. C'est justement là le rôle de la société civile de créer les passerelles pour qu'un tel dialogue puisse exister. Il y a certainement plus de choses qui rassemblent le Mahorais du Comorien des autres îles que de choses qui les séparent. Si on ne fait le choix que de mettre l'accent sur ce qui les sépare, on creuse le fossé. Par contre si on fait le choix inverse, on met en en place les bases pour une réconciliation.
Aujourd'hui il est indéniable que nous avons avec les Mahorais une communauté de cultures, certes avec des spécificités locales mais autant qu'il peut en exister entre un Marseillais et un Parisien. Cela ne fait pas de ces deux réalités des étrangers mais plutôt les diverses facettes d'une seule réalité. Ce travail sera long et laborieux et ne peut réussir que dans un cadre où les différents acteurs acceptent de se parler et de construire ensemble. Et pourquoi construire ensemble ? Parce qu'on se rend bien compte que cette situation bancale depuis 43 ans ne marche pas ! On ne peut pas continuer à forcer un destin et c'est ce qui se fait actuellement en maintenant Mayotte dans l'illusion de l'appartenance de la France. Un pays uni a plus de chances de penser développement et de le réaliser à l'image des pays voisins comme Maurice et les Seychelles ou d'autres états insulaires tels que le Cap-Vert ou Sao Tome et Principe. Certains de ces pays sont parmi les pays émergents et ont fait des bonds impressionnants en matière de développement. Il n'y a pas de secret, à la base il y a eu une stabilité politique et l'instauration d'une bonne gouvernance. Tant que vous entretenez les germes du conflit au sein d'une même population, il est difficile de transcender les rivalités créées pour penser développement. Les Comores ont un potentiel touristique, environnemental, culturel et sans doute minier à exploiter pour une population de moins d'un million d'habitants. Focalisons-nous sur ce que nous pouvons réussir ensemble et qui est actuellement à la portée de tous les Comoriens plutôt que de mettre notre énergie dans des luttes stériles.