Crouy-sur-Ourcq : un centre de formation emblématique du BUMIDOM

C’est un pan oublié de l’histoire du BUMIDOM. Près d'un domien sur deux venu dans l’hexagone via le bureau des migrations d'Outre-mer était une femme. Un centre de formation professionnelle leur était exclusivement dédié. Il était situé à Crouy-sur-Ourcq en Seine-et-Marne.
Elles s'appellent Brigitte et Marie-Lydie. Toutes deux originaires de l'île de La Réunion, elles ont brièvement séjourné au centre de préformation de Crouy-sur-Ourcq. Ce centre ouvert dans les années 60 a fermé ses portes au début des années 80. Ce lieu servait de sas avant de découvrir la vie dans l'hexagone pour des jeunes femmes célibataires et sans emploi. Elles nous racontent leur quotidien sur place.

On est arrivées, il faisait nuit, il faisait froid, on s’est dit : on est dans un trou perdu.” Quand elle replonge dans ses souvenirs, Brigitte Kalaha fait un bon dans le passé d’une quarantaine d’années. En janvier 1978, la jeune femme a 21 ans. Originaire de Saint-Denis, la Réunionnaise vient de quitter volontairement son île natale. Sa destination : Paris, pense-t-elle. Elle va plutôt découvrir un village de seulement un millier d'âmes situé à 80 km à l’est de la capitale. Son nom : Crouy-sur-Ourcq. Elle n’en avait jamais entendu parler. “On est arrivées à Orly. C’était très loin, très long la route. Ça faisait un peu bizarre, il n’y avait plus de soleil. On ne sait pas quand on va repartir de ce centre.

S’adapter à la vie métropolitaine

Malgré le choc de l’arrivée, Brigitte n’a qu’une idée en tête : trouver du travail. Femme de ménage chez des CRS affectés sur l’île de la Réunion, son contrat de travail s’achève alors que “le bruit commence à courir sur le BUMIDOM”. Ces futurs ex-patrons entament alors les démarches pour organiser son départ. Direction l’hexagone et la promesse d’une formation.

A Crouy-sur-Ourcq, depuis les années 60 est implanté un centre qui forment des domestiques, des aide-ménagères mais aussi des agents de collectivité. “On nous apprenait à repasser, à faire la cuisine, la lecture, l’écriture (...) La vie quotidienne: c’est le ménage, l’apprentissage de la vie européenne”, explique Brigitte. “Pour eux (pour l'administration, NDLR), en venant en métropole, on ne savait pas comment se présenter devant les gens alors qu’on était civilisées, s’indigne-t-elle. J’ai toujours travaillé avant de venir ici. Donc j’ai côtoyé des métropolitains, des zoreilles. Je savais comment servir à table. Pour moi, il n’y avait pas de mystère. Je n’ai pas appris grand-chose”, résume-t-elle.

Brigitte ne reste qu’un mois sur place. L’épouse d’un pédiatre installée à Paris l’engage en février 1978 comme réceptionniste et femme de ménage. “Pour moi, c’était une chance. Je voulais partir, trouver du travail. Je n’ai pas de regret”, confie-t-elle.

“Des sous-produits de la société française”

Ce tremplin vers un premier emploi, Marie-Lydie Prianon-Denis ne le connaît pas grâce au BUMIDOM. Quand elle arrive à Crouy-sur-Ourcq en janvier 1981, la jeune femme rêve de devenir infirmière. “Je m’attendais en venant en métropole à avoir un vrai tremplin pour pouvoir reprendre des études et faire des choses intéressantes. Je me suis très vite rendue compte, qu’être à la Tour, c’était refaire des mathématiques, du français, de la grammaire, niveau collège et encore… Et se préparer à de futurs métiers de petits fonctionnaires comme aux PTT de l’époque. On formait aussi des femmes de ménage, du personnel de maison. Cette partie-là, ça m’a horrifiée”, raconte-elle.

Son tempérament rebelle l’a conduite à quitter le centre qu’elle surnomme “la Tour”. Au lieu des six mois prévus, elle reste trois mois sur place. “On était vraiment considérées comme des sous-produits de la société française. Ça, c’était difficile à vivre. Ça donnait envie de se révolter et se dire 'moi je m’en vais'. Je ne reste pas dans un truc comme ça.

A 16 ans, Marie-Lydie souffrait d’une dépression. Au bout de trois ans de prise en charge, ses médecins l’incitent à quitter son environnement. “J’ai quitté La Réunion à une époque où La Réunion, ce n’était pas le paradis. Les gens vivaient largement en dessous du seuil de pauvreté. Pour élever des enfants dans un milieu comme ça…  Heureusement qu’on avait la nature, la mer. J’ai eu la chance d’habiter au bord de l’océan à Manapany-les-Bains (un lieu-dit de Saint-Joseph, NDLR)… C’est ce qui m’a permis d’évoluer sainement. Ma curiosité m’a sauvée", précise-t-elle.

Le retour à la Réunion?

Sa rencontre avec son futur mari, un boucher, lui fait découvrir un nouveau métier. Elle apprend la cuisine, crée ses propres recettes. Elle va même travailler à une quarantaine de kilomètres de Crouy-sur-Ourcq à Esbly dans les années 90. Une ville de Seine-et-Marne où elle vit aujourd’hui. Son histoire d’amour fera partie de son eldorado, loin du mirage présenté par le BUMIDOM.

Depuis son arrivée dans l’hexagone, Marie-Lydie ne ressentait pas le besoin de rentrer définitivement à La Réunion. Sa vie, avec deux enfants, était bien remplie. “J’ai eu de la chance. Je travaillais avec mon mari. On gagnait assez d’argent pour rentrer à La Réunion”, confie-t-elle.

Aujourd’hui à 56 ans, Marie-Lydie ne travaille plus aux côtés de son mari. Cette passionnée de théâtre et de développement personnel est en reconversion professionnelle. Pour la première fois en une trentaine d’années, elle envisage un retour sur son île natale. En revanche, pas de projet de retour pour Brigitte. Jeune retraitée, elle vit à... Crouy-sur-Ourcq depuis une trentaine d’années.

Regardez le reportage de La1ere.fr : 
©la1ere

 

Des centres réservés aux hommes
D’autres centres de formation professionnelle pour adultes (FPA) étaient gérés par le BUMIDOM dans l’hexagone. Ils se situent à Simandres (Rhône), à Marseille (Bouches-du-Rhône) et à Cassan (L’Hérault). Ils étaient réservés aux hommes. Entre 1962 et 1981, les FPA ont vu passer plus de 22 000 migrants.