Decolonial Film Festival : un festival de cinéma alternatif questionne la décolonisation

Plusieurs films qui questionnent l'héritage colonial dans les territoires ultramarins seront projetés lors du Decolonial Film Festival.
Le Decolonial Film Festival lance sa première édition du 14 au 25 mai. Une trentaine de films seront projetés en région parisienne lors de cet évènement qui vise le grand public. Parmi la sélection, plusieurs oeuvres interrogent l'héritage colonial dans les territoires ultramarins.

Du 14 au 25 mai, le monde de la culture aura les yeux braqués sur le festival de Cannes. Tapis rouge, stars internationales et avalanche de prix, c'est l'évènement de référence du septième art français. Mais cette année, un groupe de cinéphiles fait le pari de décentrer le regard, en proposant, aux mêmes dates, un festival de cinéma alternatif : le Decolonial Film Festival. 

Loin d'un hasard du calendrier, l'équipe du Decolonial Film Festival (DFF) entend proposer à ceux qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, aller à Cannes, un espace accessible "pour profiter de l'expérience du cinéma".

Un objectif politique

Au programme du DFF, une trentaine de films projetés en région parisienne. Contrairement à Cannes, il n'est pas question de compétition. " On n'a pas la prétention de rivaliser avec le festival de Cannes, on n'a pas les mêmes ambitions, souligne Sam Leter son responsable programmation et coordination. On est un festival qui veut mettre en avant des cinématographies peu vues, dans un objectif politique." À travers un évènement ouvert au grand public, l'équipe a pour ambition de "normaliser les pensées décoloniales".

Dans ce court-métrage, Annabelle Aventurin retrace son histoire familiale à travers une série d'entretiens avec sa grand-mère.

 

Cette approche politique et militante, le DFF l'applique jusque dans son fonctionnement. Les cinq membres de l'équipe seront rémunérés avec le même salaire. Après avoir travaillé de nombreuses années dans l'industrie du cinéma, Sam Leter cherche à éviter toute "hiérarchie de pouvoir" au sein de l'équipe, et toute pression extérieure sur le financement. 

Hors de question d'avoir un sponsor privé ou des subventions publiques, le festival compte sur une levée de fonds participative pour avoir "une vraie liberté de pensée politique" : "On voulait proposer une plateforme complètement indépendante, où les gens se sentent confortables de s’exprimer comme ils le sentent."  

" Un vrai dialogue social"

Long-métrage, documentaire, fiction ou film d'époque, les critères de sélection portent moins sur la forme que sur le fond. Le comité de programmation, composé d'une dizaine d'associations et de collectifs du monde culturel tels que l'association Cinewax ou le podcast Fanm, s'est basé sur les cinq thématiques suivantes pour faire leurs propositions : résistances, diasporas, spiritualités, héritages et terres. Un seul mot d'ordre : respecter l'approche décoloniale. 

" On voit qu’il y a beaucoup de films qui se parlent, d’histoires et de récits en écho, même si on a sollicité des organisations très différentes, qui sont spécialisés dans des approches décoloniales très précises. Voir tous ces films-là assemblés, ça fait un vrai dialogue social."

Sam Leter

 

Une première édition francophone

Alors que de nombreux festivals mettent déjà l'accent sur les œuvres cinématographiques de certaines diasporas ou certaines régions du monde, le Decolonial Film Festival est le premier à utiliser cette approche politique comme grille de lecture. 

Le film West Indies de Med Hondo retrace l'histoire du peuple Antillais du XVII à nos jours.

" Ça nous a permis d'avoir une étendue très large parce qu'il y a plein de régions dans le monde, qui ont, malheureusement, été victimes de cette histoire coloniale", souligne Sam Leter. Malgré une première édition plutôt francophone, le DFF espère élargir les "sphères et les régions" les années suivantes.  

Les Outre-mer représentés

Parmi la vaste programmation, on peut citer la première projection du documentaire Nos statues coloniales dans lequel le youtubeur Seumboy Vrainom questionne le rapport de la France à ses statues, en s'appuyant notamment sur l'expertise de Françoise Vergès. 

Sélectionné à la Berlinale, le documentaire de la cinéaste Malaury Eloi Paisley questionne la notion d'errance dans les ruines de Pointe-à-Pitre.

Soirée dédiée à Frantz Fanon, projection du classique West Indies de Med Hondo ou encore du documentaire L'Homme-Vertige de la cinéaste guadeloupéenne Malaury Eloi Paisley, plusieurs films aborderont l'héritage colonial dans les territoires ultramarins. "Il était temps", souffle Malaury Eloi Paisley.

" Le mot décolonial est employé à toutes les sauces, et certains festivals font des programmations pour se donner bonne conscience, sans véritablement remettre en question le système. Ce festival existe, parce que c'était nécessaire. "

Malaury Eloi Paisley

Questionner la "hiérarchie coloniale"

Sélectionnée à la Berlinale et nominée pour le Documentary Award, la cinéaste présentera son premier long-métrage le 23 mai, au cinéma Saint-Andrée des Arts. Une séance suivie de la projection du film de la guadeloupéenne Sylvaine Dampierre Paroles de nègres. Dans ce documentaire, les ouvriers de l'usine de canne à sucre de Marie-Galante, prêtent leurs voix pour raconter le premier procès d'un maître pour le meurtre de son esclave, un fait divers qui s'est déroulé non loin de l'usine.

" Pour moi, c'est l'un des seuls films, qui parle de la continuité de la hiérarchie coloniale dans le monde contemporain", avance Malaury Eloi Paisley, qui a suggéré à Sam Leter d'intégrer ce film dans la programmation. Récompensé à Trinidad-et-Tobago et en Allemagne, le film de Sylvaine Dampierre sera présenté pour la première fois dans un festival en France hexagonale. Dans une interview pour France culture en 2022, la réalisatrice déclarait : " On ne peut pas penser la France d'aujourd'hui sans revenir sur l'histoire de la colonisation et de l'esclavage, on ne peut pas penser le monde sans revenir sur cette histoire. "