Déçus par le système français, des étudiants ultramarins retrouvent le sourire en Belgique

Ils ont parcouru des milliers de kilomètres pour tenter d’intégrer des écoles dans l’Hexagone. Places limitées, coûts exorbitants, des Ultramarins choisissent de s’expatrier, comme de nombreux autres étudiants français. Reportage à Bruxelles avec de futurs kinés et infirmiers.
Ils s’appellent Laura-Emmanuelle, Charles, Carole-Anne ou Anderson. Ils ont la vingtaine et sont originaires des Antilles, de Guyane ou de La Réunion. Ravis pour la plupart d’étudier dans la capitale belge, ils avaient tous imaginé un autre chemin. Mais faute de places dans les écoles françaises ou à cause de frais d’inscription exorbitants, ils ont fait le choix de s’expatrier, comme des milliers d’autres étudiants français. La 1ère est allée à leur rencontre à Bruxelles.  

Numerus clausus

Pendant les vacances de Pâques, rendez-vous est pris dans le Parc de Bruxelles, au pied du Palais Royal. Laura-Emmanuelle Adélise et Charles Cazimir-Jeanon sont les premiers. Elle est Martiniquaise, lui Guadeloupéen. Ils fréquentent le même établissement, l’Institut Dominique Pire, depuis 3 ans. Encore 6 mois de stage et ils valideront leur diplôme en soins infirmiers. 

Avant d’arriver en Belgique il y a 4 ans, Laura-Emmanuelle a tenté deux concours dans l’Hexagone, à Paris et Montpellier. Pour obtenir une place, il fallait se mesurer à "des milliers et des milliers de personnes, se rappelle la jeune femme. Directement, ça crée une petite pression qu’on n’a pas ici." Admissible à Montpellier, elle choisit de jeter l’éponge. Elle sait déjà qu’en Belgique, une place l'attend.
Laura-Emmanuelle Adélise n'a pas eu d'hésitation au moment de franchir le pas et venir faire ses études à Bruxelles.
 

La Belgique francophone

De l'autre côté de la frontière, pas de concours pour intégrer un cursus en soins infirmiers. Il suffit de déposer un dossier complet dans une école. Aussitôt dit, aussitôt fait. Dans son nouvel établissement, Laura-Emmanuelle retrouve cinq ou six autres Antillais, avec soulagement : "je me suis dit : je ne suis pas la seule, je ne suis pas la seule à avoir essayer Bruxelles."

Comme elle, 21.000 Français sont inscrits dans le système belge. Ils représentent 10% des étudiants francophones du pays. Si nombreux que les écoles belges se disent même saturées. Dans la filière kinésithérapie, des quotas ont été ainsi été instaurés. Depuis 2007, le nombre de "non-résidents" ne peut plus dépasser 30% des effectifs. Les heureux élus sont sélectionnés par tirage au sort.
 

Tirage au sort

Un tirage au sort qui n'a pas souri à Charles. Ce Martiniquais, aujourd'hui âgé de 30 ans, rêvait de suivre un cursus de kiné dans l'Hexagone. "J'ai passé tous les concours, j'ai sillonné toute la France", se souvient-il, trois ans plus tard. "Malheureusement je n’étais que 400ème sur 4000 (inscrits aux concours, ndlr). Et ils ne prennent que les 70 premiers. Par rapport au temps qui est passé, j’ai décidé de quitter la France pour la Belgique où il n’y avait pas de concours." 
A 30 ans, Charles Cazimir-Jeanon termine son cursus en soins infirmiers à l'Institut Dominique Pire à Bruxelles.

À défaut d'être tiré au sort pour le cursus de son choix, il s'inscrit, en 2016, dans une école infirmière. Dans environ 6 mois, après un dernier stage, il en sortira diplômé. De son expérience française, il garde un goût amer. "J’ai dû faire des prêts pour payer les logements ou les concours kiné. J’ai dû m’inscrire à des prépas pour pouvoir me préparer à ces divers concours, liste l'étudiant martiniquais, écoeuré des dépenses qu'il a engagées. Ma mère m’a énormément aidé, je suis allé faire un prêt étudiant pour (...) affronter ce parcours, mais malheureusement, ça n’a pas été très concluant." 

Avec le recul, il estime que le système de sélection français est absurde, favorisant les élèves fortunés, plutôt que les élèves motivés. "Pour moi, il y a une réelle incohérence entre les concours que l’on doit passer et le métier qu’on veut exercer. Ce sont des tests de logique qu’on m'a fait passer. Il n’y avait aucune question sur l’anatomie, la biologie ou la physique."
 

"Ici, on vous donne l'opportunité"

"Ici, quand on voit que vous avez l’envie (...) on vous donne l’opportunité", analyse Marine Melyon, chef infirmière dans une clinique de la capitale. Après avoir échoué au concours d'une école infirmière en Guadeloupe, il y a une dizaine d'années, elle a choisi de prendre un billet d'avion pour la Belgique "pour ne pas perdre de temps". Diplômée en 2013, elle est devenue chef en 2015. Le système belge lui a permis de reprendre ses études en parallèle du travail pour continuer de progresser. Avec ce Master, elle pourra être directrice de maison de repos ou d’un département infirmier à l’hôpital.

"Ce que nous offre la Belgique, c’est l’opportunité de gagner des années!", résume la Guadeloupéenne, qui, contrairement à beaucoup d'étudiants français, a fait le choix de rester exercer dans le pays qui l'a accueillie. "On fait partie de l’Europe et je pense que l’opportunité que nous offre l’Europe, c’est de ne pas forcément rester sur son île ou dans l’Hexagone", même si, à termes, l'infirmière compte bien ramener ses "connaissances et compétences" aux Antilles.
Marine Melyon a obtenu son diplôme d'infirmière à Bruxelles en 2013.
 

Rester ou rentrer?

Carole-Anne Nirin aussi a choisi de rester quelques années dans le pays qui lui a donné une chance. En 2011, elle passe, pourtant, avec succès, le concours d'une école de kinésithérapie à Paris. Mais les frais de scolarité, très variables d'un établissement à l'autre, y sont élevés : 8.000 euros par an. "Quand on y arrive, avec beaucoup d’heures de révisions, il y a le coût financier, explique la jeune femme, originaire des Abymes en Guadeloupe. Les écoles sont chères. Et puis le coût de la vie. Ça faisait vraiment trop pour une étudiante qui quitte chez elle, qui vient s’installer." 

Trop pour une jeune femme qui trouve, à Bruxelles, une vie plus "abordable", comme le confirme le magazine L'Étudiant. Une année de Master lui coûte à peine plus de 800 euros. "Le coût de l’année n’a rien à voir avec [les écoles] en France, à Paris. Le coût des logements, le coût de la vie, c’est très agréable à Bruxelles!" La jeune femme, qui exerce comme psychomotricienne, a repris les études pour devenir kinésithérapeuthe spécialisée "en uro-gynécologie". Cette fois, pas besoin d'être tirée au sort, Carole-Anne est désormais considérée comme résidente belge. Elle a juste eu besoin de s'inscrire dans l'école de son choix. 
 
La 1ère à Bruxelles
À quelques semaines des élections européennes, La1ere.fr a posé ses valises à Bruxelles, à la rencontre des Ultramarins qui y résident. D'abord peu nombreux, leur nombre croit au fil des ans et des initiatives se mettent en place.

Située à seulement 1h20 de Paris en train et à peine 30 minutes de Lille, la capitale belge n'a souvent été qu'une étape dans la vie des originaires des Outre-mer. Aussitôt les études terminées, ils regagnent l'Hexagone pour travailler. Mais de plus en plus d'Antillais, de Guyanais, de Réunionnais... y viennent désormais avec l'intention d'y passer quelques années de leur vie.

Beaucoup d’entre eux sont étudiants ou jeunes salariés et cherchent à renouer avec leurs racines. Dans la capitale de l’Union Européenne, ils parviennent à faire vivre une partie de leur culture. Ils côtoient les Ultramarins qui travaillent aux sein des institutions européennes, notamment la Commission et le Parlement, mais aussi au sein des lobbies qui défendent les intérêts des Outre-mer.
 
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