Pour réprimer les esclaves délinquants ou insoumis, la France a choisi la prison. Les femmes comme les hommes sont couverts de chaînes et contraints à des travaux épuisants, avant d’être éventuellement remis à leur maître, au terme de leur peine.
L’État colonial français est alors le garant de l’esclavagisme. Ce livre nous fait pénétrer pour la première fois dans l’un des recoins les plus sombres d’une société esclavagiste. S’appuyant sur des archives inédites, il jette une lumière crue sur la vie des esclaves dans les prisons à La Réunion entre 1767 et 1848. Il nous fait ainsi découvrir leurs rapports corrosifs avec les gardiens, violents et alcooliques, leur pitance quotidienne infâme ou leurs sordides quartiers d’hébergement.
Bruno Maillard reconstitue un univers insolite où "séquestrer les nègres et les négresses" pour les soumettre va de soi. Il met l’accent sur les résistances exercées par les esclaves détenus pour survivre dans les prisons mais aussi pour préserver leur identité, leur intégrité physique et leur dignité. Bruno Maillard leur rend ainsi leur humanité.
L’auteur :
Docteur en histoire, Bruno Maillard enseigne à l’université de Paris-Est Créteil, et est membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage.
On a beaucoup parlé de la vie des esclaves sur les habitations des maîtres, mais on n'a jamais parlé de la condition des esclaves dans des lieux publics comme par exemple les lazarets, les hôpitaux ou les prisons.
Bruno Maillard
Lecture d'un extrait
Séquestrer les "noirs et les négresses". Le 13 décembre 1821, Pierre Dejean, juge d'instruction en poste à l'île Bourbon, procède dans son cabinet à l'interrogatoire du nommé Télémaque, un esclave. Le procès-verbal rédigé par le greffier décrit le prévenu comme "malgache, noir de pioche, dont l'âge est estimé à trente ans, appartenant au sieur Henry". Quels sont les faits qui lui sont reprochés ? Télémaque s'est évadé de la geôle de Saint-Denis, chef-lieu de la colonie, le 8 novembre 1821. Il a certes bénéficié de la complicité active de plusieurs autres esclaves détenus eux aussi : Sylvain, Hector, Cyrile et surtout François et Gabriel.
À 19 heures, après la fermeture des portes de leur dortoir par le concierge, Gabriel et François "qui s'étaient cachés sous les lits de camp", scient avec une lime préalablement cachée un barreau de la fenêtre. Ils cassent à l'aide de ce barreau le cadenas du cep en bois qui immobilisait plusieurs autres prisonniers parmi lesquels Télémaque.
Les reclus se font ensuite la courte échelle pour s'enfuir par "la lucarne qui donne sur le toit de la geôle". Ils se faufilent discrètement dans les rues de la ville et s'arrêtent près d'une rivière où ils brisent leur chaîne avec des roches. Arrêté quelques semaines plus tard par des gendarmes, Télémaque est immédiatement renvoyé en prison dans l'attente de son instruction et de son procès devant acter à coup sûr une nouvelle condamnation.
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Chargé de réalisation : Jean-Luc Benzimra
Illustrations : The last Kamit
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