Rafistolé d'un bout de ficelle, le fauteuil roulant d'Herlande Mitile ne lui permet plus de sortir du village inanimé qui se voulait le modèle de la reconstruction : dix ans après le séisme qui l'a rendu handicapée, cette femme de 36 ans ne survit que grâce à la charité de ses voisins.
Outre-mer la 1ère avec AFP•
Avant le 12 janvier 2010, Herlande Mitile, jeune commerçante de Port-au-Prince ignorait tout des tremblements de terre. En fin d'après-midi ce mardi-là, plus de 200.000 Haïtiens sont tués, écrasés par les dalles de béton des bâtiments construits sans respect de normes. Herlande a été extirpée des décombres huit jours après la secousse de magnitude 7, vivante mais grièvement blessée.
Après des mois passés à survivre dans un camp de fortune comme la capitale haïtienne en a compté des centaines après 2010, Herlande et ses deux filles sont venues habiter au village Lumane Casimir : l'Etat venait d'y offrir un logement à une cinquantaine de personnes devenues handicapées suite au séisme.
Nommé d'après une grande voix du panthéon musical haïtien, le chantier se voulait un modèle d'urbanisme pour le pays encore aujourd'hui sans cadastre. Parc locatif de trois mille logements parasismiques avec marché, zone industrielle, commissariat, caserne de pompiers, école et dispensaire : sur le papier, la cité avait tout du rêve mais les modélisations 3D n'ont jamais été concrétisées.
Inspection des installations du village ou correction des vices de construction : entre avril 2013 et août 2014, une dizaine de contrats additionnels ont été signés. Toujours de gré à gré, toujours sous financement Petrocaribe.
"L'UCLBP (Unité de construction de logements et de bâtiments publics) a morcelé un montant de 5 millions de dollars en douze contrats, tous présentant des irrégularités : fractionnement pour favoritisme, contrat attribué sans consultation de fournisseur ou sans une mise en concurrence de candidats, contrat non approuvé par la Cour des Comptes", dénonce Vélina Charlier membre du mouvement citoyen Petrochallenge.
"En ville dès 17 ou 18h, il faut rentrer à l'intérieur et les maisons ont des portes en fer. Voyez ici, ma petite porte en bois et les maisons n'ont aucun mur de protection. Entendre les tirs à n'importe quel moment de la journée, mon coeur est trop vieux pour ça", rigole l'homme de 62 ans. Mais l'isolement géographique et administratif du village qui procure cette absence de lutte entre gangs armés pénalise ses habitants les plus vulnérables.
Ne pouvant se déplacer pour chercher un emploi, ne recevant aucun centime d'aide publique, Herlande Mitile dépend quotidiennement de ses voisins. "J'ai parfois souhaité mourir", confesse-t-elle après s'être assurée que ses filles de 12 et 16 ans ne puissent l'entendre. "Quand mes voisins cuisinent, ils appellent la petite et lui disent de venir prendre un bol. Avant le 12 janvier, on se débrouillait mais maintenant, je suis pire qu'un bébé", se lamente la femme en tapant nerveusement sur la roue endommagée de son fauteuil.
Au sein du village désormais autogéré, les personnes blessées lors du séisme et celles ayant pris possession d'une parcelle inachevée partagent l'idée d'avoir été oubliées des politiciens. "Si on avait dû attendre leurs promesses, on ne serait pas en vie (...) Il n'y a pas d'Etat, je suis mon propre Etat", conclut Herlande d'un ton ferme.