DOCU. L’esclavage au cinéma, la fin d’un tabou ?

S’il existe des dizaines de films de cinéma aux États-Unis qui traitent de la question de l’esclavage, en France la plupart des spectateurs ne peuvent citer qu’un seul long-métrage : Case Départ (2011). Comment expliquer un tel décalage ? pourquoi existe-t-il si peu de films chez nous ? Peut-on parler d’un "tabou" français ? Eléments de réponses avec ce documentaire de Régis Dubois.

Face à une histoire officielle longtemps amnésique, des deux côtés de l’Atlantique, le cinéma, art populaire par excellence, avait vocation à être le vecteur parfait pour contribuer à constituer une mémoire collective autour de la sombre période de l'esclavage. Mais force est de constater que rares sont les films à avoir représenté de front l’esclavage, plus rares encore ceux à avoir trouvé la forme, la narration et la distance adéquates pour mettre en image et en récit ce qui reste encore aujourd’hui l’un des tabous de la société américaine, et plus encore française.

Affiches de films issues du documentaire " L’esclavage au cinéma, la fin d’un tabou ?"

La vision hollywoodienne de l'esclavage

Le premier film parlant de l'esclavage sort en 1903. Il s'agit d'une adaptation du livre abolitionniste La Case de l’Oncle Tom, réalisé par le pionnier du cinéma Edwin S. Porter. D'autres adaptations du roman vont suivre au cinéma comme celle de Harry A. Pollard en 1927. L'imaginaire de l'esclavage dans le cinéma classique hollywoodien entre les années 30 et 60 est dominé par le succès du film Autant en emporte le vent (Gone with the Wind) de Victor Fleming sorti en 1939. Ce mélodrame qui se déroule dans une plantation de coton occulte la représentation directe de l'esclavage pour en donner une vision idéalisée : les maitres ne fouettent plus, la violence n'existe plus. Les personnages noirs sont souvent caricaturaux. 

La représentation de l'esclavage commence a changer dans les années 50. Certains films prennent une forme plus critique, mais ce n'est vraiment qu'à la fin des années 60 que la parole des réalisateurs devient plus libre grâce notamment à la montée en puissance du Black Power.

En 1969, le film Slaves, réalisé par Herbert J. Biberman marque un tournant en s'opposant frontalement à l'idéologie de la cause perdue. Dans les années 70, une dizaine de films dont le plus célèbre est Mandigo de Richard Fleischer permettent de modifier l'image de l'esclave. Pour la première fois, il n'y a pas de représentation positive de "l'homme blanc".

Aux États-Unis, on ne compte pas moins d'une soixantaine de films et de séries consacrés à l'esclavage, beaucoup ont été réalisés au cours de cette dernière décennie et ont été primés et récompensés (12 Years a Slave de Steve McQueen obtient l'Oscar de meilleur film en 2014).

Photo issue du film "L’esclavage au cinéma, la fin d’un tabou ?"

Et dans le cinéma français ?

Il faudra attendre presqu'un siècle après l'invention du cinéma par les frères Lumière pour que la France s'intéresse au sujet. Les Caprices d'un fleuve réalisé par Bernard Giraudeau en 1996 situe son action durant la révolution française dans l'actuel Sénégal. Mais lorsque l'on interroge les spectateurs français sur les films consacrés à la question de l'esclavage la plupart ne peuvent citer qu’un seul long-métrage : Case Départ (2011). Malgré des films notables tels que 1802, l'épopée guadeloupéenne de Christian Lara, Bois d'ébène, le docu fiction de Moussa Touré, ou le film d'animation Sidi Kaba de Rony Hotin, il y a une véritable invisibilité de l'histoire de l'esclavage français.

Selon la productrice Elisabeth Arnac, c'est parce que la France a du mal à remettre en question sa propre histoire, "ne jamais aller là où ça fait mal', tandis que les États-Unis réalisent un vrai travail d'introspection. Comment expliquer un tel décalage entre la production américaine et la France ?

Ce documentaire passionnant apporte des éléments de réponses grâce à la participation de :

  • Jean-Claude BARNY (réalisateur de la série Tropiques amers )
  • Rokhaya DIALLO (réalisatrice du documentaire Où sont les Noirs ?)
  • Fanny GLISSANT (coréalisatrice de la série documentaire Les Routes de l’esclavage)
  • Philippe NIANG (réalisateur du téléfilm Toussaint Louverture)
  • Sébastien ONOMO (producteur du docu-fiction Bois d’ébène)
  • Frédéric REGENT (historien, auteur de La France et ses esclaves)
  • Luc SAINT-ELOY (acteur dans 1802, l’épopée guadeloupéenne)
  • Lionel STEKETEE (coréalisateur de Case Départ)
  • Jocelyne BEROARD (chanteuse et membre du groupe Kassav' - comédienne)
  • Myriam COTTIAS (directrice du Centre International de Recherches sur les esclavages et post-esclavages - CIRESC, spécialiste de l'esclavage dans l'espace caribéen)

Un film réalisé par : Régis Dubois

Voix : Jocelyne Béroard 

Production : Zycopolis Productions, Esperenza Productions

Avec la participation de France Télévisions 

Durée 56 min - Année 2022