Documentaire : "Système K" comme Kinshasa, l’Afrique par l’art, l’Afrique autrement

L'artiste Kongo Astronaut dans une de ses performances de rue.
Dans la ville trépidante de Kinshasa, en République démocratique du Congo, la vitalité de l’art s’expose dans toutes ses dimensions, dans la rue et sur les corps. Dans un magnifique film-hommage aux créateurs, le cinéaste Renaud Barret nous entraîne dans la démesure de cette mégapole.
Kinshasa est la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). C’est la troisième ville la plus peuplée d’Afrique avec des estimations qui varient entre 13 et 17 millions d’habitants. Cette mégapole est minée par la pauvreté, dans un pays extrêmement riche en minerais, mais qui est encore ravagé par une guerre civile (des millions de morts depuis 1994) et une corruption omniprésente. Le pays a été également mis en coupe réglée par les multinationales qui exploitent allègrement les métaux stratégiques comme le cobalt, le coltan, le cuivre, le manganèse, sans compter l’or et les diamants.
 

"Nos œuvres se nourrissent du chaos" 

Dix ans après son film éponyme sur les musiciens handicapés du groupe Benda Bilili de Kinshasa, le réalisateur français Renaud Barret (qui a aussi réalisé The Africa Express pour France Ô en 2013), nous replonge dans le panorama chaotique et surréaliste de cette capitale où il vit depuis plus de quinze ans. Cette fois, sa caméra va au contact de huit artistes, impressionnants de courage et de résilience. Ils sont sculpteurs, peintres, plasticiens, musiciens, réalisent des scénographies avec leur corps, et travaillent avec des matériaux de récupération et des déchets urbains. Ils n’exposent et ne réalisent pas leurs performances dans des lieux fermés. Leur scène, c’est la rue, et leur public en est issu.
 
Le sculpteur et plasticien Freddy Tsimba
« Nos œuvres se nourrissent du chaos », explique dans le documentaire le plasticien Freddy Tsimba, figure reconnue de la scène artistique kinoise. « Notre urgence de créer est la même que la population qui se bat pour sa survie. Nous voulons être le miroir de la population. (…) Je n’explique jamais mes œuvres, c’est au spectateur de trouver un sens. La rue est notre inspiration et notre seul jury. » Pour dénoncer à sa manière la guerre qui détruit la RDC, Freddy Tsimba réalise notamment des installations monumentales de rue avec des matériaux issus des conflits, comme des douilles et des machettes.
 

Avec une incroyable énergie créatrice, bouleversant les codes et les traditions locales, d’autres artistes font de leur propre corps un vecteur d’expression ultime dans des performances de street art, se mettant souvent en danger car traqués par la police. Il y a le photographe Yas Ilunga, considéré et réprimé comme « enfant sorcier » dans sa jeunesse, qui s’attache et rampe dans les rues une bible à la main pour dénoncer l’emprise des églises évangéliques ; Majestik, qui s’arrose et se fait promener dans une baignoire remplie de sang d’animaux pour interpeller sur les massacres commis dans l’Est de la RDC – « Je veux traduire la souffrance de ce pays », dit-il – ou Kongo Astronaut, revêtu de sa combinaison spatiale faite de composants électroniques recyclés, arpentant « l’espace Kinshasa » pour attirer l’attention sur le pillage des minerais du Congo.
 
Le collectif de musiciens Kokoko, qui fabriquent leurs instruments avec des produits recyclés.
 

Révolution artistique

« C’est un art très direct, urgent », a déclaré Renaud Barret. « Les artistes parlent d’idées souvent assez simples : on n’a pas d’eau, pas d’électricité… Et on en fait quelque chose. Ce qui fait que la population va directement réagir et même interagir. Tous ces artistes ont le souci de faire passer des messages. C’est leur motivation principale. Il y a une forme d’amour pour les leurs alors qu’on est en face d’une population peu ou pas scolarisée depuis bientôt deux générations. C’est une vraie bombe à retardement. Les artistes sont en rébellion contre cette apocalypse discrète qui est en train de s’installer. Alors ils prennent la rue. »

Le réalisateur a pris cinq ans pour faire « Système K », et a précisé qu’avec la matière qu’il avait, il aurait pu faire dix films différents. Une chose est sûre en tout cas. S’il doit y avoir une révolution artistique, l’Afrique y aura une place prépondérante, et particulièrement le Congo-Kinshasa. Dans l’Hexagone, ce documentaire magnifique (94 minutes, distribution Le Pacte) est en salles depuis le 15 janvier.