Les droits de l’enfant s’arrêtent-ils aux portes de Mayotte ?

Un groupe d'enfants pose sur un terrain vague, le 27 Octobre 2019. En arrière plan, des cabanes de tôle dans le quartier de Kaweni, bidonville en périphérie de Mamoudzou.
Les droits de l’enfant ne sont pas respectés à Mayotte, réaffirme Jacques Toubon dans un rapport rendu public mardi 11 février. Plusieurs droits, pourtant fondamentaux, comme l’éducation, la sûreté, la santé, vivre en famille et dans des conditions décentes - ne sont pas exercés.
 
Dans un rapport de 58 pages suite à une visite sur l'île en octobre 2019, le Défenseur des droits consacre deux chapitres et plusieurs sous-parties aux enfants, portion prépondérante de la population. La moitié des habitants de Mayotte a, en effet, moins de 18 ans, et trois Mahorais sur dix ont moins de 10 ans, selon l’INSEE. Toujours d’après l’institut de la statistique, l’île compterait 60 000 mineurs étrangers.
 

Instruction et éducation : situation alarmante

L'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans.
Art. L. 131-1 du code de l'éducation


► Les faits
C’est un droit fondamental pour tous les enfants français et étrangers, pourtant bafoué dans le 101e département. Le droit à la scolarisation est particulièrement remis en cause pour les enfants qui vivent sans leurs parents. D’après l’INSEE, "à Mayotte, environ 5 400 enfants mineurs vivent dans un logement, mais sans leurs parents. Autant de filles que de garçons sont concernés. La moitié d’entre eux ne sont pas inscrits dans un établissement scolaire alors que 61 % ont entre 6 et 16 ans. Près de la moitié (44 %) sont de nationalité française."

Dans son rapport, le défenseur des droits s'appuie, également, sur des chiffres fournis par le vice-rectorat. 52  000 élèves sont scolarisés dans le premier degré à Mayotte. À Mamoudzou et Koungou, les deux communes les plus peuplées de l’île, il manque, selon le vice-recteur, 1 300 places en maternelle et primaire. Mais ces chiffres cachent une autre réalité car le système de rotations adopté par 40% des écoles de l’île constitue, lui aussi, une atteinte au droit à l’éducation et une rupture d’égalité avec les élèves de métropole. Ainsi, les élèves sont susceptibles d’être divisés en deux groupes, l’un suivant les cours uniquement le matin et l’autre uniquement l’après-midi.

Pour y remédier, mardi 22 octobre, lors d'une visite sur l'île, le président de la République promettait l'ouverture de 800 classes et la fin des rotations "en 2025 au plus tard". Regardez l'extrait du discours d'Emmanuel Macron : 
Pourtant, le manque d'infrastructures scolaires est pointé du doigt depuis de nombreuses années à Mayotte. En 2004 déjà, le maire de Mamoudzou espérait la fin des rotations "sous trois ans". À l'époque, l'élu pointait le manque de terrains disponibles pour construire des écoles dans les zones qui l'intéressaient, comme l'indique ce reportage de Mayotte la 1ère : 
  
► Les raisons
Pour Jacques Toubon, les maires portent une lourde responsabilité dans cette situation alarmante. Les édiles ne font pas leur travail de recensement des enfants en âge d’être scolarisés, pourtant rendu obligatoire pas la loi. En effet, les articles L.131-1 et L.131-6 du code de l’éducation prévoient qu’ "à l’occasion de la rentrée scolaire, le maire dresse la liste de tous les enfants résidant dans sa commune et soumis à l’obligation scolaire, soit tous les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre trois et seize ans. Cette liste est mise à jour tous les mois." Autre raison mise en avant : le refus d’inscription "en raison de l’illégalité des pièces exigées par certaines communes."
 

Protection de l'enfance : inertie, manque de compétences et de formations      

Comme pour l'éducation, en matière de protection de l’enfance, les difficultés déjà pointées depuis de nombreuses années par le Défenseur des droits et d'autres institutions restent d'actualité. 

 Les faits
A Mayotte, la population est bien plus jeune qu’ailleurs en France. L’âge moyen des habitants s’élève à 23 ans en 2017, d'après l'INSEE, contre 41 ans en métropole, 35 ans à La Réunion et 28 ans en Guyane, par exemple. 

Par ailleurs, s’agissant des enfants confiés aux assistantes familiales, le Défenseur des droits constate, au travers des réclamations dont il est saisi, que la qualité de l’accueil et l’accompagnement au quotidien n’est toujours pas à la hauteur des enjeux de bien-être et de sécurité indispensables à l’accueil d’un enfant confié aux services de la protection de l’enfance.

Symbole de ces dysfonctionnements, le défenseur des droits s'appuie sur le cas d'un enfant âgé d'un an, retrouvé sur la voix publique et resté sans identité pendant deux ans. Avec cette méconnaissance du "droit fondamental à l’identité reconnu par les articles 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant", le conseil départemental a porté gravement atteinte à l'intérêt supérieur de ce bambin. 

► Les raisons
Jusqu’à récemment, le Défenseur des droits fustigeait le manque de moyens alloués par l'État. Ainsi, "jusqu’en 2017, les moyens consacrés par le département à la protection de l’enfance n’étaient pas en adéquation avec les besoins du territoire ; les services se consacraient essentiellement à la gestion des situations d’urgence ; ils n’avaient pas la capacité d’assurer une prise en charge à la fois exhaustive et de qualité." Avec le versement par l’État en 2017 de la compensation financière au titre des années 2009 à 2016, affectée dans sa totalité à la mise en œuvre du SDEF, et l’attribution d’une dotation annuelle pérenne, le département dispose des ressources pour assumer ses obligations.

Or, la protection de l'enfance est une compétence du Conseil départemental. Si, aujourd'hui, il dispose des ressources pour assumer ses obligations, Jacques Toubon dénonce l'inertie des services du conseil départemental, ainsi que des manques de compétences et de formation des professionnels dans la prise en charge des enfants. Ainsi, "la constitution des dossiers des enfants s’avère lacunaire. Le suivi et l’accompagnement des assistantes familiales – qui ont encore en charge un nombre déraisonnable d’enfants – questionne très sérieusement". Par ailleurs, il est fait état de défaillances importantes des services de la protection maternelle et infantile (PMI) qui "n’assurent pas leurs missions"