Jusque-là, rien de nouveau dans l’histoire de l’humanité ! Nous sommes issus, nous les Hommes, du monde animal et depuis le néolithique, c'est à dire depuis que l'homme a commencé à déforester pour cultiver et domestiquer les animaux, nous sommes infectés par des zoonoses. Nous devons la rougeole et la tuberculose aux vaches et aux bœufs, la coqueluche aux cochons et la grippe aux canards. La peste nous a été transmise par les puces et les poux. Quant au virus de la rage, il est présent dans la salive des animaux qu'ils transmettent en nous mordant.
Mais à partir des années 1970, de grands médecins et responsables de santé publique ont annoncé que les maladies infectieuses liées à des microbes, à des bactéries, à des virus, c’était terminé. On avait les antibiotiques, les vaccins, une hygiène extraordinaire.
Les nouvelles maladies étaient désormais celles liées à nos changements de mode de vie : les cancers, les maladies causées par l’obésité ou au vieillissement de la population. Ainsi quand dans les années 80 le Sida est arrivé, ça a été un choc .
- François Moutou, vétérinaire, épidémiologiste retraité de l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire. Spécialiste du SRARS de 2003
Des épidémies de zoonoses en forte augmentation
Ces nouvelles maladies émergentes, à 75 % des zoonoses, sont en fortes augmentation et provoquent dès le début du XXIe siècle toujours plus d’épidémies. En revanche, le nombre de personnes qui en souffrent est relativement faible. Le premier SRAS en 2003 n’aurait fait que deux victimes en France. Finalement, seuls les Outre-mer doivent régulièrement faire face aux épidémies de dengue, Zika et chikungnya. L’Europe est quant à elle peu concernée.Les scientifiques qui travaillent sur le moustique tigre reconnaissent qu’ils n’ont jamais eu autant de financement pour leur recherche que depuis cinq ans, c’est-à-dire depuis l’arrivée de l’insecte dans l’Hexagone.
Face à l’augmentation du nombre de ces épidémies, l’Organisation Mondiale de la Santé inscrit en 2018 une maladie X sur la liste des pathologies pouvant provoquer un danger international. Aujourd’hui, on sait que cette maladie X est le Covid-19.
En octobre dernier, ce virus à l’origine du Covid-19 était tout à fait tranquille dans une population de chauves-souris quelque part en Asie et à peine six mois plus tard, il est présent dans toutes les populations humaines, sur l’ensemble de la planète.
C’est quelque chose qui est totalement hallucinant. Très peu nombreux étaient ceux qui travaillant en écologie de la santé avaient prédit la prochaine peste mais on ne pouvait même pas imaginer qu’elle serait d’une telle nature et d’une telle rapidité.
-Serge Morand, chercheur en écologie parasitaire et de la santé au CNRS et au CIRAD basé en Thaïlande
Avec un collectif d'écologues, Serge Morand vient de lancer une pétition "La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique".
Des virus issus de la faune sauvage des forêts tropicales
Parmi ces nouvelles maladies émergentes, les épidémiologistes remarquent qu’un bon nombre d’entre elles ont pour origine des virus issus d’animaux sauvages des forêts tropicales ou équatoriales fortement dégradées et déforestées.
Le virus de l’immunodéficience humaine, le VIH, est issu d’un lentivirus hébergé à l’origine chez des macaques expulsés de leur forêt lors de la construction des voies ferrées et des villes du Congo.
Le moustique tigre est originaire d'Asie. Avec la déforestation et grâce à sa formidable capacité d’adaptation, le moustique s'est répandu. Le commerce international des pneus usagers et des bambous où l'eau peut s'accumuler a permis aux larves de moustiques de voyager. Les virus comme la dengue, le Zika et le Chikungunya ont tout d'abord émergé au cours du XXe siècle en Afrique centrale et équatoriale. Grâce aux développements des transports, l'insecte et les virus sont ensuite partis à la conquête de nombreux pays de la planète.
Les chauves-souris, une espèce hors du commun
Les animaux sauvages les plus pourvus en virus semblent bien être les chauves-souris. Chassées de leurs habitats, elles se rapprochent des hommes et leurs transmettent des virus, inoffensifs chez elles. Le système immunitaire des chauves-souris est capable de résister à des virus extrêmement agressifs. Comme le précise un récent article du Monde, depuis une dizaine d’années des scientifiques tentent de mieux comprendre ces mécanismes de défense. Des recherches qui pourraient améliorer la réponse médicale face aux virus, en particulier en cas de nouvelles épidémies. Les chauves-souris sont encore très mystérieuses. Si elles sont porteuses de nombreux virus, on sait également qu’elles sont indispensables au bon fonctionnement de la Nature.
Les chauves-souris ont un rôle très important. Certaines sont frugivores et jouent un rôle capital dans la régénération des forêts. Elles assurent la pollinisation de certains arbres comme les manguiers, les baobabs ou l’Agave.
D’autres sont insectivores et consomment par exemple quantité de moustiques.
Avec le Covid 19, on a très peur que les chauves-souris soient menacées par d’éventuelles représailles.
- Jean-François Julien, écologue, spécialiste des chauves-souris au Muséum National d'Histoire Naturelle
Depuis le début de la pandémie, en Chine, de nombreuses chauves-souris auraient été tuées ou chassées de leur grotte. Pourtant en les éliminant, les populations aggravent les déséquilibres de l'environnement et s’exposent aux virus.
1300 espèces de chauves-souris mais incapables d’infecter directement l’homme
La liste est longue des épidémies dont le virus est issu de l’une d’elles. Le virus Ebola est issu d’une espèce de chauves-souris d’Afrique centrales et de l’Ouest fortement déforestée. Même chose pour le virus Nipah qui s’est répandu en Malaisie. Le virus de Marburg en République démocratique du Congo. Au Moyen Orient, le Mers, un syndrome respiratoire, est issu d’un coronavirus de Chauves-souris. Le virus à l’origine de la pandémie du Covid 19 vient également de cette très grande famille appelée les coronavirus et comme le SRAS de 2003, il est issu de la même famille de chauves-souris, les Rhinolophes.
Le XXIe siècle a démarré en 2002 avec une épidémie, le SRAS Cov qui venait de Chine, un pays encore mystérieux à l’époque pour nous les Européens. Une maladie dont l'origine était un coronavirus. Or, cette famille de virus était très mal connue par la médecine humaine, à part deux ou trois coronavirus responsables de rhumes, ils étaient peu présents.
En revanche, ils étaient surtout connus par les vétérinaires car ils posaient essentiellement des problèmes aux animaux domestiques ou d’élevages. Ce SRARS Cov a été donc une très grande surprise.
-François Moutou, vétérinaire, épidémiologiste retraité de l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire. Spécialiste du SRAS de 2003
Pourtant, les virus des chauves-souris n’ont pas la capacité d’infecter directement l’homme. Ils doivent, dans la plupart des cas, passer par un animal intermédiaire où le virus va s’adapter pour acquérir les fonctions génétiques indispensables pour se transmettre aux humains. Or, ces animaux hôtes sont soient domestiqués, soient consommés par les hommes qui se les procurent essentiellement sur des marchés approvisionnés via les trafics d’animaux sauvages internationaux.
La déforestation pousse la faune sauvage à fuir, à se rapprocher des villes, à entrer en contact avec les populations humaines et avec les élevages domestiques qui ont considérablement augmenté ces dernières années. Tout ceci créé des conditions de passage entre les virus de la faune sauvage et les humains. Pour nous prémunir des virus, il faudrait au contraire préserver les équilibres.
- Florian Kirchner, responsable du programme espèce à l’UICN France, l’Union International pour la Conservation de la Nature
Une pandémie comme celle du Covid 19 était-elle prévisible ?
Depuis près d'une quarantaine d'années, les scientifiques alertent sur nos atteintes à la biodiversité car elles créent des conditions favorables aux apparitions d’épidémies. Selon l’Organisation des Nations Unis pour la Nourriture et l’Alimentation, la FAO, l’augmentation des zoonoses coïncide avec l’accélération de la déforestation et en particulier des forêts tropicales. Ces écosystèmes sont très riches en biodiversité et donc en agents pathogènes pouvant potentiellement favoriser une épidémie.
Selon les chercheurs, seulement 20 % des forêts tropicales sont considérées comme encore intactes. Rien qu'entre 1980 et 2000, l'IPBES a évalué que 100 millions d'hectares de forêts tropicales ont été détruites. Des terres pour faire essentiellement de l'élevage de bétail en Amérique Latine et des plantations de palmier à huile en Asie du Sud-Est. C'est l'équivalent des surfaces de la France et de l'Allemagne réunies. Entre 2010 et 2015, c'est 32 millions d'hectares de forêts primaires qui ont disparu, soit à peu près l'équivalent de la France.
Il faudrait cependant ne pas se limiter à la perte de la forêt mais bien voir toutes ses atteintes. En Guyane, depuis le début des années 90, sur les 8 millions d’hectares de forêt, « seuls » 25 000 ont été complètement détruits par l’activité minière. En revanche, c’est toutes les rivières et les fleuves du territoire qui sont pollués par le mercure utilisé massivement par l’orpaillage illégal. Or, le mercure impacte les populations qui vivent en forêt comme la faune sauvage.
Autre chiffre impressionnant, nous avons perdu 85 % de nos zones humides depuis le début de l'ère industrielle.
Des habitats naturels, forestiers, cultivés de manière traditionnelle abritent une importante biodiversité mais ces paysages sont résilients et ne sont pas sources d’épidémies. L’autorégulation des écosystèmes maintient la circulation des virus à bas bruit.
La transformation des habitats avec la déforestation, la monoculture, l’élevage qui a augmenté de façon considérable font que ces territoires sauvages diminuent et les échanges augmentent entre les animaux sauvages et l’homme .
-Serge Morand, chercheur en écologie parasitaire et de la santé au CNRS et au CIRAD basé en Thaïlande
Les conséquences sanitaires de la destruction de la biodiversité sont encore très mal appréhendées et en particulier par l’opinion publique et les décideurs. Or, c’est bien en préservant la biodiversité que nous nous prémunirons d’autres pandémies.
Il va falloir éviter au maximum la déforestation, l’assèchement des zones humides pour préserver une biodiversité résiliente et limiter ainsi les épidémies. D’autant que cette biodiversité n’est pas qu’un réservoir de virus, c’est aussi grâce à la biodiversité qu’on se nourrit, qu’on se soigne en partie, qu’on respire. Sans elle, nous ne pouvons pas vivre ! C’est bien pour cela que nous devons arrêter de la mettre à mal.
- Isabelle Autissier, présidente du Fond Mondial pour la Nature, le WWF France