GRAND FORMAT. "Nous sommes les oubliés de la République" : en Outre-mer, plus de 20.000 enfants restent encore à la porte de l’école

Une enseignante remplit une gourde lors d'une distribution d'eau dans une école de Trevani, à Mayotte, le 2 novembre 2023.
La journée internationale des droits de l’enfant, ce mercredi 20 novembre, est une nouvelle occasion de rappeler que l’égalité des chances et l’accès à l’éducation a du mal à se frayer un chemin Outre-mer. Des milliers d’enfants sont privés d’école faute de place pour les accueillir et plusieurs dizaines de milliers d’élèves sont confrontés à des classes surpeuplées, des bâtiments qui ne répondent pas aux normes d’hygiène et de sécurité, des problèmes de recrutements d’enseignants ou encore des transports en commun défaillants.

"On a beau crier, on a beau dire les choses, on a l’impression que malheureusement, nous sommes toujours les oubliés de la République." C'est le sentiment profond de Saïd Omar Oili, le sénateur de Mayotte. Dans son département où la moitié de la population à moins de 25 ans, personne n’a été jusqu’ici capable de lui indiquer précisément combien d’enfants ne sont pas scolarisés. En janvier dernier, il a interrogé le rectorat de Mayotte qui lui a répondu laconiquement : "difficile de savoir […] nous n’avons qu’une estimation". "Entre 6 et 10.000 enfants", lui a indiqué le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel, Alexandre Portier, quand la fédération des parents d’élèves de Mayotte s’arrête plus volontiers sur 20.000 enfants non scolarisés. 

Sur le bord du chemin

La situation de Mayotte est comparable à celle de la Guyane où l’on estime que, là aussi, entre 6.000 et 10.000 enfants sont non scolarisés. Ces enfants laissés sur le bord du chemin de l’école n’est pas acceptable pour l’Unicef France qui, dans un rapport intitulé "Grandir dans les Outre-mer" appelle la création d’un observatoire national de la non-scolarisation. "Il faut le décliner dans chaque territoire, jusqu’aux endroits les plus reculés, pour connaitre précisément le nombre d’enfants non scolarisés", explique Céline Hein, chargée de plaidoyer éducation à l’Unicef France.

Ecole Tobbie Bala, Maripasoula

En Outre-mer, 680.000 enfants sont scolarisés dans 1.900 écoles avec un trait commun connu de tous : une pauvreté bien plus prononcée que dans l’Hexagone. Au-delà du constat, chaque territoire à ses spécificités et ses difficultés.

À Mayotte, les enfants vont à l’école le matin et ils n’y retournent pas l’après-midi faute de place pour les accueillir. En Guyane, l’éloignement contraint près de 600 élèves à circuler en pirogue sur le fleuve Maroni pour se rendre à l’école, 800 jeunes filles scolarisées ont un enfant et 70 % des élèves n’ont pas le français comme langue maternelle.  En Guadeloupe, où la terre tremble régulièrement, près de 60 % des élèves ne sont pas accueillis dans des bâtiments aux normes sismiques. En Polynésie, ce territoire grand comme l’Europe, l’enseignement pour tous et partout est un immense défi. Beaucoup d’enseignants ne sont pas formés et dans les îles les plus éloignées de l’archipel, faute d’élèves, les classes sont à double et même à triple niveau.  Enfin, à La Réunion et en Martinique, près de 30 % des élèves présentent des difficultés de lecture…

Sanctuariser l’école

Depuis de nombreuses années, la SNUipp-FSU martèle le même message. Pour le premier syndicat des enseignants des écoles, il faut sanctuariser toutes les écoles des Outre-mer. "Le modèle pour donner des moyens supplémentaires, c'est le classement en Réseau d’Éducation Prioritaire renforcée REP +. Il permet d’avoir moins d’élèves dans les classes et plus d’enseignants auprès des élèves avec notamment des classes dédoublées en grande section, CP et CE1", indique Guislaine David, co-secrétaire générale et porte-parole de la SNUipp-FSU.

Partout dans les Outre-mer, des exemples démontrent néanmoins que l’éducation avance. Certes doucement, mais elle avance. Comme en Guyane où sera inauguré en 2025 un lycée qui accueillera près de 800 élèves à Maripasoula, au cœur de la forêt amazonienne. "Souvent, je le dis comme je le pense, ces singularités de nos territoires ont conduit à l’inaction ou à dire 'c’est compliqué, on fait ce que l’on peut' […]. C’est à nous de trouver les leviers pour déployer l’école avec la même ambition que celle que nous pourrions avoir dans n’importe quelle académie de l’Hexagone", affirme Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de Guyane. 

À quelques jours de cette nouvelle journée internationale des droits de l’enfant, l'organisation de l'enseignement public, obligatoire dès l’âge de trois ans, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir de l'État. Et si, comme l’affirmait l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne lors du dernier comité interministériel des Outre-mer en 2023, nos territoires sont "une chance inespérée pour notre pays", alors la France doit s’assurer que tous les enfants des Outre-mer puissent accéder à l’éducation et s’élever par la connaissance, car ils sont l’avenir de nos territoires éloignés. 

Regardez le grand format sur l'école en Outre-mer de Pierre Lacombe et Nordine Bensmaïl :

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