Reporté une première fois en juin puis une seconde début juillet, le Comité interministériel des Outre-mer s’est enfin tenu ce mardi 18 juillet à Matignon. Une vingtaine de ministres, soit la moitié du gouvernement, a été associée. Gratuité des manuels scolaires, continuité funéraire, octroi de mer… Il en sort un véritable inventaire à la Prévert de près de 70 mesures censées répondre aux préoccupations quotidiennes des Ultramarins.
Les Outre-mer sont des territoires de défi, qui attendent des réponses. (…) Nous voulons que nos compatriotes Ultramarins voient les changements rapidement.
Elisabeth Borne, Première ministre
Réforme de l'octroi de mer et lutte contre la vie chère
L'octroi de mer, qui finance les collectivités locales ultramarines mais qui gonfle les prix, sera refondu. Si les contours de la réforme de la taxe ne sont pas encore définis, les modalités "seront inscrites au plus tard dans le projet de loi de finances 2025". "L'objectif est celui d'une réforme définitive totalement appliquée en 2027", précise le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, qui s'engage à garantir "le même niveau de recettes" pour les collectivités locales.
L’octroi de mer contribue à la vie chère en Outre-mer. Il comporte plusieurs milliers d’articles soumis à des taux de prélèvement variables, dont beaucoup n’obéissent plus à aucune logique.
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances
Comme pour l'octroi de mer, le projet de réforme de "la régularisation des prix des carburants", celui d'une augmentation "des liaisons inter-îles dans la Caraïbe" ou l'hypothétique construction d'un casino à Saint-Martin pour développer le tourisme, ne seront pas détaillés avant plusieurs mois, voire n'ont pas encore été arbitrés par le gouvernement.
Pour lutter contre les monopoles qui plombent les budgets des ménages ultramarins, le gouvernement s'engage à augmenter de 10% "dès 2024" les effectifs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans les cinq DROM. Le gouvernement entend également "renforcer la souveraineté alimentaire" des territoires d’Outre-mer, notamment en débloquant 10 millions d’euros pour "soutenir les producteurs de fruits et de légumes".
Revalorisation des bourses étudiantes, manuels scolaires et petits-déjeuners gratuits en primaire
Le gouvernement promet "10 000 nouvelles solutions d'accueil pour les jeunes enfants d'ici 2030 et 4 000 places de crèches d'ici 2027". Mayotte et la Guyane feront l'objet d'un effort spécifique. 50 millions d'euros seront par ailleurs investis chaque année pour diminuer le prix moyen des repas à la cantine et proposer des fournitures scolaires et des manuels scolaires gratuits pour les élèves du primaire. Le montant des bourses des étudiants en Outre-mer sera par ailleurs revalorisé de 30 euros par mois.
Une place plus importante doit être donnée aux langues régionales dans l'enseignement, notamment grâce à "un plan de formation" des professeurs et la possibilité pour les collectivités territoriales de "piloter" l'apprentissage des langues locales en dehors du temps scolaire, comme cela se fait en Alsace. À noter que le plurilinguisme faisait déjà partie des objectifs dessinés lors du dernier CIOM, en 2019.
Des allers-retours Outre-mer-Hexagone pris en charge par l’État pour les étudiants
En plus de l’augmentation du soutien de l'État aux déplacements entre les Outre-mer et l'Hexagone pour les plus modestes annoncée en mars dernier, le gouvernement souhaite renforcer les aides destinées aux jeunes qui poursuivent des études loin de leur territoire. "Tous les étudiants ultramarins dont le quotient familial est inférieur à 26 000 euros" bénéficieront d’un aller-retour entièrement pris en charge par an jusqu’à 28 ans, et d’un aller-retour supplémentaire la première année.
Les modalités de la continuité funéraire seront également réformées : les familles n’auront plus à avancer les frais pour faire rapatrier les corps de leurs proches, assure le gouvernement.
Des investissements dans les infrastructures et la santé
Les budgets prévus pour les contrats de convergence seront renforcés, "prioritairement pour financer des réseaux d’eau, des infrastructures de transports et des écoles", a précisé Elisabeth Borne. L'investissement passera de 1,9 milliard pour l'exercice 2019-2022 à 2,3 milliards pour la période 2024-2027.
150 millions d’euros seront débloqués pour renforcer " l’offre médico-sociale en faveur des personnes en situation de handicap". D’ici 2024, "un plan d’action" sera finalisé pour "réduire les délais de prise en charge des cancers". Ce plan prévoit par exemple de "doubler" les moyens de prévention et de détection des cancers du côlon-rectum, du sein, du col de l’utérus et de la prostate.
Réforme du foncier et accès au logement
Le gouvernement souhaite par ailleurs augmenter les aides à la rénovation de logements, adapter les critères de performance énergétique aux milieux tropicaux ou encore étendre aux Outre-mer le crédit d'impôt de rénovation des logements sociaux qui ne sont pas situés dans des quartiers prioritaires.
Une réforme du foncier est également à l’ordre du jour : il s’agit à la fois d’accélérer le transfert du foncier de l’État en Guyane et de résoudre les problèmes d’indivision aux Antilles. La loi visant à faciliter la sortie de l'indivision, dite loi Letchimy, sera prolongée de dix ans, jusqu’en 2038. Des mesures seront également prises pour permettre aux propriétaires sans titre de faire valoir leurs droits plus facilement, en abaissant la prescription de 30 à 10 ans.
Un projet de loi consacré au cas mahorais
Accélération de la production de logements, renforcement de l’offre de soin, possibilité pour les fonctionnaires de la fonction publique de souscrire à une retraite complémentaire, accélération du processus de convergence des droits sociaux… Une loi dédiée au cas mahorais sera proposée dans six mois "au plus tard".
D'ici là, le gouvernement entend répondre à la sécheresse qui frappe Mayotte, entraînant des coupures de plus en plus fréquentes pour les habitants. "Dès demain, le décret gelant le prix de l’eau en bouteille sera publié, a assuré la Première ministre. Pour l’avenir, le financement de l’usine de dessalement est désormais garanti". Gérald Darmanin se rendra par ailleurs sur l'île de l'océan Indien à la rentrée de septembre.
Les questions institutionnelles et sécuritaires écartées
La question d'une réforme institutionnelle, notamment abordée par les élus lors de l’appel de Fort-de-France de mai 2022, et les enjeux sécuritaires, pourtant au cœur des préoccupations ultramarines, n’ont pas été abordés lors du CIOM. La sécurité et l'immigration seront les sujets d'une loi prochainement, précise-t-on à Matignon. De même, les services de la Première ministre expliquent que les questions institutionnelles sont "renvoyées plutôt en fin d'année".
Si une éventuelle modification des statuts des territoires n'a pas été évoquée lors du CIOM, celle d'une meilleure insertion régionale, notamment diplomatique, était au menu. "Un certain nombre de territoires souhaitent intégrer des organisations régionales, note-t-on à Matignon. Nous allons accompagner ces démarches." Le gouvernement "soutiendra la demande d'adhésion" des collectivités françaises des Amériques qui souhaitent devenir des membres associés à la Communauté caribéenne (CARICOM), et des conseillers diplomatiques seront mis en place en Martinique et en Guadeloupe.
Vers un CIOM annuel
Certaines des 72 mesures présentées par le gouvernement ce mardi 18 juillet avaient déjà été annoncées. Les nouvelles mesures détaillées lors du CIOM ne seront pas regroupées dans un projet de loi unique spécifique aux Outre-mer. La Première ministre entend "se saisir des différents textes en discussion au Parlement" pour "plus d'efficacité". Certaines annonces se chiffrent en millions, mais Matignon refuse de faire des comptes d’apothicaire et de communiquer l’investissement global prévu. "Certaines mesures, qui ont un vrai impact sur la vie quotidienne, ont un coût marginal", justifie-t-on au sein du ministère.
Le gouvernement souhaite que le CIOM devienne un rendez-vous annuel, pour "faire le point" et "vérifier l’efficacité de ce qui a été mis en œuvre". Un CIOM organisé tous les ans, c’était déjà le vœu d’Edouard Philippe, le Premier ministre de l’époque, lors du dernier comité en 2019. Il aura finalement fallu attendre près de quatre ans pour que la promesse se réalise.