L'armée française peut-elle être mise en cause pénalement pour ne pas avoir empêché le rapt du journaliste Olivier Dubois en 2021 au Mali ? Hypothèse peu probable, selon des sources proches du dossier, qui soulignent que le reporter a récemment été auditionné plutôt sur le "rôle trouble" d'un intermédiaire.
Olivier Dubois, reporter français d'origine martiniquaise basé au Mali, avait pour projet d'interviewer Abdallah Ag Albakaye, un cadre du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM selon l'acronyme arabe), alliance d'Al-Qaida au Sahel. Le jour de cette interview, le 8 avril 2021, il a été kidnappé, puis retenu captif pendant 711 jours.
En mai dernier, plusieurs médias avaient révélé des éléments des investigations dirigées par le Parquet national terroriste (Pnat), selon lesquels l'armée française était informée du projet d'Olivier Dubois, connaissant même le nom de la rue où le reporter devait être récupéré le jour du supposé entretien. Reporters Sans Frontières avait alors dénoncé "une mise en danger" de la vie du journaliste, libéré le 20 mars dernier.
L'armée a-t-elle failli ? D'après des auditions de militaires réalisées dès l'enquête préliminaire, l'armée française n'a pas eu "un rôle actif" pour pousser à la rencontre et ne s'est pas servie d'Olivier Dubois comme "appât", a expliqué une source proche de l'enquête, relevant que le projet d'interview avait été initié par le journaliste. D'où l'ouverture d'une information judiciaire en octobre 2022 pour enlèvement en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste, et non pour mise en danger de la vie d'autrui.
Double jeu
Par ailleurs, les récentes auditions d'Olivier Dubois – en mai à la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) puis devant deux juges d'instruction antiterroristes à Paris le 23 juin – "ne visaient pas l'armée" mais essentiellement à aider à "l'identification des ravisseurs" jihadistes et éclaircir "le rôle trouble" d'un intermédiaire, explique une source proche du dossier. Contacté, Maitre Antoine Casubolo Ferro, avocat du journaliste, n'a pas souhaité s'exprimer.
L'intermédiaire est un Touareg originaire de la région de Gao, qu'Olivier Dubois connaissait depuis 2016 et à qui il avait demandé de l'aider à organiser l'interview avec Abdallah Ag Albakaye. Or, il avait été recruté en 2019 par la force française antijihadiste Barkhane, précisément pour permettre la capture d'Abdallah Ag Albakaye. Et il tenait informée l'armée du projet d'Olivier Dubois, d'après des éléments judiciaires dont l'AFP a eu connaissance.
Dans son audition, l'officier de Barkhane traitant avec l'intermédiaire a détaillé avoir avisé sa hiérarchie de "l'hypothèse d'un projet d'enlèvement" dès le 23 mars 2021, se fondant sur plusieurs signaux inhabituels, tels que la flexibilité d'Abdallah Ag Albakaye, qui a accepté le report du rendez-vous. Mais il a aussi expliqué aux enquêteurs "ne pas avoir reçu l'ordre" d'empêcher le rendez-vous entre le reporter et le jihadiste.
"Ensuite, si j'avais demandé (à l'intermédiaire), il ne l'aurait pas fait", poursuit le militaire, car "s'il avait cherché à annuler ou saboter cette rencontre, il y aurait eu des représailles" à son encontre de la part du groupe jihadiste.
"Cafouillage"
Surtout, Olivier Dubois aurait pu trouver un autre négociateur, estime l'officier. "Dans ce cas, en rompant le contact avec (l'intermédiaire), nous aurions été totalement aveugles sur cette rencontre".
Des militaires, en poste de commandement, ont aussi expliqué à la DGSI que prévenir les ressortissants français des risques encourus relevait du rôle de l'ambassade, dûment alertée selon eux.
Une source diplomatique a assuré à l'AFP qu'une "lettre rouge" avait été envoyée au journaliste le jour de son rapt, "suite à un entretien la veille avec l'ambassade où il lui avait déjà été passé la même consigne" quand le reporter avait prévenu la veille de son voyage. Ici, il semble y avoir eu "cafouillage", relève la source proche du dossier, estimant que l'ambassade aurait pu alerter "de manière plus claire" Olivier Dubois du risque d'enlèvement.
En parallèle, l'armée a produit un rapport interne sur la base d'informations déclassifiées, mettant au jour des déficiences ainsi qu'"un manque de lucidité collective et une discontinuité informationnelle et géographique" mais n'identifiant pas "de faute personnelle".
L'inspection des armées reproche surtout à l'intermédiaire touareg, inculpé au Mali notamment pour association de malfaiteurs terroriste, d'avoir voulu "gagner sur deux tableaux" : elle le soupçonne d'avoir cherché "à livrer un journaliste français à un groupe armé", "tout en permettant à la force Barkhane la capture d'un chef de groupe armé" contre rémunération.