Plusieurs centaines d'enfants, nés ou ayant grandi en Syrie de parents partis rejoindre l'État islamique dans les années 2010, sont déjà rentrés en France. Pourtant, depuis juillet 2023, plus aucun rapatriement n'a été organisé par l'État français, et il resterait environ 120 enfants français dans deux camps du nord-est de la Syrie : Orkesh et Roj. Parmi eux, Adem Clain, 21 ans, le plus grand des fils du réunionnais Fabien Clain, connu pour avoir revendiqué les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Adem Clain se trouvait pendant de nombreux mois dans le camp d'Orkesh avec quatre autres jeunes adultes français. Il a été transféré il y a quelques semaines dans une prison pour adultes en Syrie. Sa mère et ses sœurs se trouveraient, elles, toujours à Roj, dans un autre camp du nord-est de la Syrie.
Marie Dosé, avocate du Collectif des familles Unies, lutte depuis six ans pour le rapatriement de tous les enfants français de Syrie. Elle s'est rendue fin février avec deux membres du collectif et le coprésident d'Avocats sans frontières en Irak et en Syrie. Elle a pu s'entretenir avec de nombreuses mères et enfants toujours là-bas "C’est assez effroyable d’arriver dans un camp entouré de barbelés, de voir arriver des dizaines d’enfants, vous parler français, vous demander si vous habitez dans la tour Eiffel. Ils demandent "comment tu es venu ?" et quand je leur ai dit "je suis venue en avion" ils ont regardé au-delà des barbelés et ils m’ont dit "il est dans quel camp ton avion ?" se souvient l'avocate. À son retour à Paris, elle a déposé une nouvelle demande de rapatriement auprès du Quai d'Orsay, restée sans réponse.
Des enfants "victimes" ?
"Ce sont des victimes de guerre !", soutient Marie Dosé pour parler des enfants encore en Syrie. Plus de 200 d’entre eux sont déjà rentrés en France. À leur retour, soit par vol commercial accompagné, soit par vol militaire, les mères sont placées en détention provisoire et les mineurs pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Débute alors un long processus d'évaluation psychique des enfants. Leïla Férault et Maurween Veyret-Morau sont psychologues cliniciennes à l’hôpital Avicenne à Bobigny en Seine-Saint-Denis. Leur unité spécialisée fait partie d’un dispositif de prise en charge de ces enfants. "On a très peu d’éléments quand on les rencontre donc on a besoin de ce temps pour élaborer sur leur histoire" décrit Leïla Férault. Depuis les premiers rapatriements, plus d'une centaine d’enfants est passé dans ce service de pédopsychiatrie.
Ce sont des victimes de guerre
Marie Dosé, avocate pénaliste
"Le processus, il est très simple" décrit Marie Dosé. Les jeunes qui reviennent à 15 ans ou moins sont placés, pris en charge par l’ASE et par la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre de procédures diligentées par le juge des enfants. "Il faut les soigner, les suivre psychologiquement, les aider à s’insérer et à retrouver les chemins du savoir, de l’apaisement", note l’avocate.
"Les tableaux cliniques sont très variables, poursuit Maurween Veyret-Morau, psychologue à l’hôpital Avicenne. On sait qu’il y a des enfants qui arrivent et qui semblent aller extrêmement bien et qui sont décrits par les familles d’accueil comme étant des enfants modèles et qui n’ont absolument aucun symptôme et au contraire certains présentent beaucoup plus de symptômes très bruyants et sont à priori beaucoup plus inquiétants." Le plus important avec ces enfants, martèlent les psychologues : ne pas faire de généralité. Chaque cas est différent, difficile donc d’imaginer dans quel état psychologique seraient Adem Clain et ses petites sœurs s’ils rentraient aujourd’hui en France. Une chose est sûre pour les psychologues : "On n’est jamais indemne".
Quel destin à leur retour ?
"La réinsertion de ces enfants, elle va dépendre énormément de la capacité de tous les professionnels et de toutes les personnes qu’ils rencontrent, à les accueillir comme des enfants, soutient Maurween Veyret-Morau, membre de l'équipe qui suit une cinquantaine d’enfants toutes les semaines à l’hôpital Avicenne. Et à faire en sorte que leur situation soit la plus normalisée possible et la moins stigmatisante possible. Ce qui n’est pas du tout facile avec ces enfants-là parce que globalement la société et même les professionnels peuvent être pris là-dedans. On a un regard très particulier sur ces enfants."
Pour les majeurs, la procédure peut être un peu différente, d’après les cas que Marie Dosé connaît. "Ils sont, eux aussi, polytraumatisés, par tout ce qu’ils ont vu. Ils ont vu leurs petits frères et leurs petites sœurs mourir. Si ceux-là font aussi l’objet d’un mandat d’arrêt international de la part d’un juge d’instruction antiterroriste, parce que c’est tout à fait possible, et bien, ils seront mis en examen, peut-être placé en détention provisoire, peut-être placés dans un centre pour jeunes. Pour l’instant, personne n’a accès à leur dossier, l’important, c'est de les sauver, puisqu'ils ne sont pas responsables de ce qu’ils sont devenus."
Toutes les personnes intervenantes dans le processus de rapatriement sont unanimes : aucun enfant rapatrié n’a posé de problème flagrant ou n’a mis en danger qui que soit après son retour. "On place nos peurs au mauvais endroit" estime Marie Dosé. Les psychologues spécialisées sont du même avis : "Plus la France leur signifie, en ne les rapatriant pas, qu’ils ne sont pas bienvenus ici, plus leur situation va être compliquée à l’arrivée."