Une photo est accrochée au mur de l'avocate Marie Dosé. Ce pourrait être n'importe quelle photo mais c'est le camp de Roj, dans le nord-est de la Syrie, qui est capturé. À quelques dizaines de kilomètres de là, dans le camp d'Orkesh, impossible de prendre des photos rapporte celle qui est devenue le visage de la lutte pour le rapatriement des enfants encore retenus en Syrie. Ils seraient encore une centaine d'enfants français répartis dans ces deux camps de Syrie. Leurs parents, partis rejoindre les rangs de l'État islamique dans les années 2010, sont pour beaucoup morts ou emprisonnés. Restent également des mères qui auraient refusé d'être rapatriées, selon l'avocate parisienne de ces familles.
Parmi ces enfants encore en Syrie : trois au moins sont Réunionnais. Adem Clain a passé des mois dans le camp de réhabilitation des jeunes hommes d'Orkesh, avant d'être récemment emprisonné dans un centre pour adultes. Ses deux petites sœurs seraient restées avec leur mère dans le camp de Roj. En février dernier, Marie Dosé a pu, avec une petite délégation française, leur rendre visite. À son retour, elle a déposé une nouvelle demande de rapatriement au Quai d'Orsay, notamment pour Adem Clain. Des demandes restées sans réponse, donc de fait refusées au bout de deux mois.
Fabien Clain, la "voix de Daech"
Né dans l'Hexagone en 1978, originaire du quartier du Moufia à Saint-Denis de la Réunion, Fabien Clain a été, au cours des années 2010, l’un des cadres du djihadisme en France puis en Syrie. D’abord installée à Alençon, puis à Toulouse, la famille Clain s'est convertie à l’islam en 1999, pour rester "dans le droit chemin", racontaient alors des membres de la famille restée à la Réunion. Mais dès 2001, Fabien se radicalise via la filière du village ariégeois d’Artigat, où une communauté s’est installée. Il entraîne, avec lui, son frère Jean-Michel et leur sœur Anne-Diana. C’est à cette période qu’ils rencontrent notamment Mohamed Merah, auteur des tueries de Toulouse et Montauban en mars 2012.
En 2009, Fabien Clain est condamné à cinq ans de prison pour avoir animé une filière d’acheminement vers l’Irak. Deux ans après sa sortie de prison, il s’envole avec sa compagne et leurs enfants pour la Syrie, en 2014. C'est avec son frère Jean-Michel qu'il revendiquera les attentats du 13 novembre 2015 à Paris dans un enregistrement audio envoyé depuis la Syrie, ce qui lui avait valu le surnom de "la voix de Daech". Les deux frères seraient décédés à la suite d’une attaque de drone dans la bataille de Baghouz, lors de la chute de l’État islamique en 2019.
À Orkesh, des jeunes adultes abandonnés
Adem Clain, 21 ans, porte ce nom bien connu de l'organisation État islamique. Tout jeune, il avait suivi ses parents en Syrie, pensant partir en vacances. Marie Dosé a pu rencontrer le jeune réunionnais quand il était encore dans le centre de réhabilitation d'Orkesh: "On s’est entretenus individuellement avec quatre des jeunes Français qui sont là-bas depuis des mois. C'était terrible. Terrible parce qu’ils sont malades, gravement malades et certains sont handicapés. Les Kurdes qui sont dans ce centre Orkesh nous ont bien dit qu’ils ne pouvaient pas les soigner, qu’il fallait absolument les rapatrier."
Dans un dernier rapport sur le sujet, paru en avril, Amnesty International note les nombreuses dérives qu’ils ont observées dans la gestion de ces camps. "Les enfants, les femmes et les hommes détenus dans ces camps et ces centres de détention subissent des actes d’une cruauté et d’une violence inouïes. Les méthodes de torture employées sont notamment passages à tabac, positions douloureuses et décharges électriques." Selon eux, encore 30 000 enfants, toutes nationalités confondues, sont encore détenus dans le nord-est de la Syrie.
Mal-nourris, pas soignés, polytraumatisés, les jeunes adultes dont faisait partie Adem Clain semblent aller très mal selon les dires de Marie Dosé. "La France le sait, puisque les services de renseignements sont allés les interroger. La France le sait, et la France ne fait strictement rien pour les rapatrier " lance l’avocate pénaliste. Depuis le dernier rapatriement en juillet 2023, le Quai d’Orsay ne communique plus sur le sujet. La France a d’ailleurs déjà été condamnée à plusieurs reprises par le comité des Nations Unies contre la torture et la Cour Européenne des droits de l’Homme pour refus de rapatrier les familles de Syrie. "Les condamnations ont contraint la France à rapatrier tous les enfants, dont les mères acceptaient le rapatriement" se félicite Marie Dosé. Désormais, Adem Clain, âgé de 21 ans, a quitté le camp d'Orkesh et est emprisonné dans un centre pour adultes en Syrie.
120 enfants français dans le camp de Roj
Un autre cas pose encore question : celui des mères qui ont refusé d’être rapatriées lors des derniers départs collectifs. Ce serait le cas de Mylène Foucre, la femme de Fabien Clain et de leurs deux filles. Elles sont aujourd’hui toujours dans le camp de Roj, avec une centaine d’autres enfants. "Nous sommes rentrés dans ces camps, nous avons vu ces enfants, raconte Marie Dosé. Certains ont 5 ou 6 ans et sont victimes de traitements inhumains et dégradants, ils sont rachitiques. Ils évoluent dans le sable, la boue, des tentes, et rien. Ils n’ont pas accès aux soins, ils ne mangent pas à leur faim, ils sont victimes de détention arbitraire. Aujourd’hui, la France cautionne le fait que des enfants grandissent dans des prisons à ciel ouvert. "
"Nous étions persuadés que ces femmes qui n’ont pas souhaité être rapatriées avec leurs enfants allaient très mal nous accueillir, se souvient Marie Dosé. Ça ne s’est pas du tout passé comme ça, des dizaines de femmes sont venues nous parler. Elles sont venues nous dire "on n’y arrive pas, parce que c’est trop dur, la séparation, on ne la supporte pas, on ne supporte pas de l’envisager. On sait qu’il n’y a pas d’autres solutions." Toutes les femmes françaises encore présentes dans ce camp sont déjà judiciarisées en France. Lorsqu'elles atterriront sur le territoire français, elles seront d'office mises en examen et placées en détention provisoire pour association de malfaiteurs à caractère terroriste.
Pour l’avocate, la solution est simple : "Que la France exige des Kurdes qu’ils ramènent les femmes et les enfants à la frontière du Kurdistan irakien, d’où les expulsions peuvent s’organiser". "Il faut aussi sauver les enfants du choix de leur mère, insiste-t-elle. On ne peut pas enlever les enfants des bras de leur mère depuis les camps. C’est impossible parce que le Rojava n’est pas un État souverain, c’est une zone de non-droit." Difficile de savoir si de la famille attend Adem et ses sœurs dans l'Hexagone ou à La Réunion. Le collectif des familles Unies, et ses avocats, luttent pour le rapatriement de tous, avant de les répartir, soit vers des dispositifs d'accompagnements et d'insertion, soit vers des poursuites judiciaires en fonction des cas. Mais comment accueillir ces enfants que Marie Dosé décrit comme des "victimes du choix de leurs parents" ?