Escalade : confinés ou pas, les deux Guyanais Bassa et Mickaël Mawem rêvent de grimper tout en haut de l’Olympe

Restez chez vous restez forts, le message des frères Mawem
Frères fusionnels, Bassa et Mickaël Mawem sont les deux grimpeurs qui représenteront la France aux Jeux Olympiques. L'un en Calédonie, l'autre en Isère, ils sont très proches dans la façon de parler de leur sport. Deux règles d’or : garder l’entraînement et l’énergie, même en confinement.
Les frères Mawem, on les confond parfois dans la rue mais on les regarde plutôt en levant la tête. Leur royaume est à plusieurs mètres de hauteur. L’escalade, dont ils sont deux ténors, fera ses débuts aux JO de Tokyo avec pour eux de grandes chances de médailles. Cet entretien croisé à plus de seize mille kilomètres de distance révèle leurs différences et leurs points communs dans ce sport spectaculaire.

Votre philosophie fait qu’on vous assimile à des sportifs épris de liberté, comment peut-on vous garder confinés ?
Bassa Mawem
: "Pour moi c’est fini ou presque. En Nouvelle-Calédonie on peut à nouveau sortir librement. J’ai ma salle à moins d’un kilomètre de chez moi mais c’est un peu frustrant car elle est encore fermée (Ndlr Bassa Mawem est directeur technique de la ligue d’escalade de Nouvelle Calédonie depuis 2017)."

Mickaël Mawem" Nous ne sommes pas dans la même catégorie que ces grimpeurs de l’extrême, comme Patrick Edlinger ou Isabelle Patissier, connus du grand public. Avec mon frère on a toujours été des fans de l’entraînement et, dans la logique, on est enfermés dans des salles et non pas accrochés sur un pan de massif. On est comme Wolfgang Güllich, un des pionniers de la discipline, c’est lui qui a inventé le pan d’entraînement, on s’entraîne devant une planche…."

BM : "On n’est pas en manque, on le ressent moins que des surfeurs qui vivent toujours dans l’eau et on arrive à se débrouiller avec les moyens du bord. Le surfeur, sans sa vague, c’est compliqué pour lui de s’entraîner au sol. Nous on a juste besoin d’une ou deux prises sur le balcon supérieur ou d’une barre de suspension."
 
Concrètement comment faites-vous, vous escaladez votre immeuble ?
MM : "J’ai un appartement en rez-de-jardin, à Voiron (Isère). À la base, j’avais bricolé de quoi me suspendre avec quelques prises pour faire de la force avec les bras. Mais comme ça dure un peu, je suis allé récupérer des planches dans une grande surface et un peu de matériel au pôle France d’escalade qui est à côté de chez moi. J’ai bricolé un mur de 4 mètres de long sur 2m60 de haut. Ça me permet surtout de bouger sur les jambes, de traverser. Je peux jouer sur la technique et ne pas arriver après le confinement à ne plus pouvoir poser mes pieds."

BM : "Je m’entraine à la maison à Ouemo, près de l’île Sainte-Marie, j’improvise mais toujours dans un travail des bras. En temps normal, je m’entraîne cinq jours par semaine à hauteur de cinq ou six heures quotidiennes et là seulement, quatre heures par semaine. Le 4 Mai, je reprends à la structure artificielle Bob Daly à Magenta."
 

Vous qui êtes de nouveaux venus dans l’olympisme, comment avez-vous réagi au report des Jeux de Tokyo ?
MM : "C’est très bien une année de plus. La difficulté en 2020 est que tout le monde n’était pas au même niveau et certains grimpeurs n’étaient pas qualifiés. Le gros problème dans notre sport reste l’entraînement. Les Japonais sont les plus forts, ils n’ont pas eu de confinement et ont pu s’entraîner pendant que les Italiens et nous, sommes en plein dedans."

BM : "C’est ce qu’on espérait tous, envisager un report en septembre ou octobre, ça limitait la casse mais concrètement ce n’était pas bon. Les Jeux, c’est la plus belle compétition au monde, le jour où j’y serai, j’espère que tous les athlètes seront à cent pour cent."
 

Comme on est des acharnés de l’entraînement, on s’est dit ok, on a un an de plus pour être plus forts dans nos lacunes ou dans nos points forts. 
- Mickaël Mawem


Ce seront vos premiers JO, ils restent un objectif prioritaire à vos yeux ?
MM : "Complètement. On aura des compétitions pendant un an qui nous prépareront mais je n’ai rien changé dans mon investissement personnel. Aux JO, on aura trois disciplines combinées : la vitesse, le bloc et la difficulté. C’est ce qui est nouveau, alors on s’adapte."

BM : "Ça ne change pas grand-chose pour moi pour le moment. Mais on est qualifiés, on est plus visibles, on a plus de sponsors et de moyens de la fédération. J’espère que l’escalade va devenir un vrai sport qui trouve une place aux yeux du grand public."

MM : "C’est un rêve inimaginable, ça fait 18 ans que je pratique. Il y a trois ans, jamais je n’aurais pensé que l’escalade rentrerait aux Jeux. Ça va donner une vitrine incroyable pour notre sport. Il y avait deux places par nation, on les a prises, nous les deux frangins. Faire partie de ce team France, aller dans cette compétition énorme, avec la visibilité médiatique c’est énorme pour l’évolution de notre sport. "
 
Mickaël et Bassa Mawem, le double atout de la France aux Jeux

Pouvez-vous cibler un peu plus vos ambitions d’un point de vue personnel ?
BM : "Mon objectif est d'aller en finale et de faire un podium. En finale, tout peut se jouer. J'aimerais aussi détenir un premier record olympique de vitesse et battre le record du monde de l’Iranien Reza Alipourshenazandifar (5 secondes 48 pour escalader un mur de quinze mètres)."

MM : "L'objectif est la médaille d'or et ma polyvalence me permet d'aller la chercher. Je m'entraîne pour ça mais si on peut être tous les deux sur le podium, ce serait top."
 

Mentalement c'est énorme. Je veux voir mon frère gagner et lui veut me voir gagner. Si on gagne tous les deux, tant mieux. S'il y en a un qui gagne, les deux auront gagné. 
- Bassa Mawem


Vous vous êtes toujours suivis dans la pratique de ce sport ? Qui a entraîné l’autre ?
BM : "On habitait Village Neuf, un petit bourg en Alsace tout près de la frontière Suisse. Un ami m’a proposé un jour d’aller essayer l’escalade à l’UNSS, il y avait un club là-bas Alpi 360 et un petit mur. J’ai essayé et j’ai aimé, j’en ai fais un an."

MM : "Au bout d’un an Bassa m’a emmené essayer. Mon grand frère m’emmenait faire quelque chose, j’avais dix ans, j’étais trop content qu’on fasse une activité ensemble. Ça m’a plu et j’ai tout de suite accroché."

Pourquoi la salle d’escalade avec un mur artificiel plutôt que l’escalade à l’extérieur en milieu naturel ?
MM : "Quand on a commencé l’escalade, pour nous ça n’existait pas à l’extérieur. On ressentait le besoin de se dépenser de la première à la dernière minute et en extérieur tu ne peux pas retrouver ça. En salle on peut s’exprimer corporellement à fond et se dépenser au maximum, avoir la dose d’adrénaline. On a fait quelques stages à l’extérieur, c’était sympa mais pas énergétique. "
 
Mickaël en effort sur le bloc

BM : "Il y a vingt ans les salles d’escalade étaient rares. On a eu la chance d’être tout près d’une, on a commencé avec la difficulté, puis les blocs et enfin la vitesse. On n’avait pas peur et quand tu commences comme ça sans appréhension, tu progresses. On s’est tout de suite aperçu qu’on avait le potentiel."

Êtes-vous égaux dans l’engagement ?
BM : "C’est comme un combat, un dépassement de soi, je vais jusqu’au bout de moi-même. En 2010 la vitesse m’a permis de continuer l’escalade, après mes blessures au doigt (Bassa a fait neuf ruptures de poulies partielles, rupture de tendons fléchisseurs des doigts) et c’est ma raison d’être. Ça me permet d’avoir un certain équilibre."
 
Bassa Mawem reporte l'étape de coupe du monde de vitesse à Moscou, Avril 2019

MM : "J’aime beaucoup la diversité, je peux passer huit heures à l’entraînement, alors que Bassa aime la répétition. Face à son mur, il fait jusqu’à 55 séries de vitesse par séance sur quatre heures. Il faut avoir un mental de dingue surtout avec sa méthode extrême mentalement. "

Vous êtes-vous affrontés en compétition ? Qui est le meilleur ?
MM : "Oui, aux championnats de France en 2018, on a fini en duel en vitesse, il m’a clairement mis la misère. Il est meilleur que moi en vitesse. Il a un rapport poids-puissance énorme, comme un coureur de 100 mètres, il est plus grand et plus lourd que moi." 

BM : "Mika est fort partout, c‘est clair, il est complet. De toutes façons dans la rue quand on nous reconnait, on ne nous distingue pas trop, on nous dit souvent tiens vous êtes un des frères Mawem, celui qui a gagné…"
 

On a décidé de capitaliser là-dessus : que les Mawem gagnent, quel que soit le frère et la méthode.
- Bassa Mawem


Vous représentez déjà une véritable entreprise à vous deux ?
MM : "On a des objectifs communs autour des Frères Mawem, mais chacun fait à sa manière. Dans notre boîte, je gère la communication, j’ai lancé la marque, le réseau social. On a chacun nos compétences et on les divise pour être complémentaires."

BM : "Comme je suis directeur de salle et de la ligue d’escalade à Nouméa, je manage des salariés et je fais de la gestion d’écritures en entreprise. On a des projets de rachat de salles pour fin 2021, ça nous permettra de mettre un pied dans l’entreprenariat, être en relation avec les banques, histoire de lancer la première salle. Une fois qu’on aura cette structure, on montera la nôtre."
 
Deux frères unis dans l 'effort, Mickaël à gauche , Bassa à droite

MM : "Notre salle d’escalade 'Frères Mawem', une structure privée, avec une âme et nos valeurs, le partage, l’esprit de famille notre côté énergétique et passionné, avec une accessibilité pour tous."

BM : "Aujourd’hui toutes les salles se ressemblent, on veut casser tout ça et faire une salle à notre image, pas un modèle type commercial."
 

J’irai peut-être en cachette grimper sur l’obélisque, mais on s’adaptera au mur de la place de la Concorde. 
- Mickaël Mawem


Paris 2024, c’est dans votre tête aussi ?
BM : "Je vais tout faire pour y être car la vitesse sera discipline olympique à part entière. C’est sûr et certain je continue, si je peux être champion olympique à presque 40 ans… Depuis que je suis papa, je m’astreins à une vraie hygiène de vie, et j’irai au bout, ne serait-ce que pour me femme et mon garçon."

MM : "Paris sera mon dernier objectif, j’aurai 34 ans et ce serait dingue, j’en rêve. On aura quatre ans de préparation. C’est en France, chez nous, la famille pourra nous suivre, nos proches, la communauté des grimpeurs et des réseaux sociaux. Ce sont eux qui nous soutiennent, c’est grâce à eux qu’on arrive à en vivre, nos sponsors aussi."