Depuis la loi Taubira du 21 mai 2001, la France commémore tous les 10 mai "la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition". Et pour la première fois en France, trois villes, Honfleur, Le Havre et Rouen, participeront conjointement à cette célébration du 10 mai au 10 novembre 2023
Trois villes, trois chapitres de l'histoire
Reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture, l’exposition distingue, selon les trois villes, trois chapitres différents de l’implication normande dans la traite atlantique. Cette démarche, construite en trois ans, différencie et retrace l’histoire des acteurs de la période esclavagiste au Havre, l’aspect maritime à Honfleur et économique à Rouen.
- Le Havre : " Fortunes et Servitudes"
L’exposition havraise, présentée aux musées d’Art et d’Histoire du Havre à l’Hôtel Dubocage, évoquera "le rôle des individus et la manière dont ils se sont retrouvés impliqués dans un commerce esclavagiste". À travers leur existence, leur complicité ou leur résistance, la ville du Havre tend à évoquer à la fois le "voyage de traite" ou encore "les conditions de vie dans les exploitations agricoles aux Antilles".
- Honfleur : "D'une terre à l'autre"
Au musée Eugène Boudin d'Honfleur, il sera également question de la traite atlantique, mais sous l'angle maritime, où seront présentées les différentes étapes de navigation, c'est-à-dire "les personnes mises en esclavage, la terre africaine, les Antilles et, parfois, Honfleur et les plantations de Saint-Domingue"
- Rouen : " L'envers d'une prospérité"
Au Musée Industriel de la Corderie Vallois à Rouen, l'accent sera mis sur le système économique découlant de la traite, les fonds investis par les financiers rouennais équipant les bateaux ou encore l'impact dans la vie quotidienne de toutes les strates de la population normande et des personnes mises en esclavage.
" Nous sommes très en retard dans le travail de mémoire"
Que cela soit au niveau national ou local, Guillaume Gaillard, commissaire général de l'exposition et directeur Valorisation des patrimoines du Havre, reconnait que "le travail de mémoire a trop tardé", au cœur du projet culturel du Havre, le commissaire général de la ville ajoute que particulièrement au Havre " nous sommes très en retard dans le travail de mémoire". Il explique que cela est principalement dû au fait que le port a été bombardé durant la Seconde Guerre mondiale, "il ne reste plus beaucoup de marqueur dans l'espace public. Ici, beaucoup d'édifices ont été détruits".
Et Guillaume Gaillard réalise cette année "un gros travail de restitution" avec l'aide d'historiens. Grâce à un travail de collecte et de conservation de plus de quinze ans, les colonies installées sur les sites caraïbéens seront présentées au public dès le 10 mai.
Les documents montrent que les Normands, partis soit du Havre, soit d’Honfleur, avaient l’habitude de se rendre sur des sites d’Afrique de l’Ouest et aussi aux Antilles. Saint-Domingue était considéré comme un site propre aux Normands. Il y avait des installations. 75% des sites de vente d’esclaves réalisés par les Havrais se passent à Saint-Domingue.
Guillaume Gaillard, commissaire général de l’exposition régionale, directeur Valorisation des patrimoines du Havre
Et bien que les expositions traitent de l'ancrage normand dans l'esclavage, elles concentrent également leur travail d'archives sur les Antilles, fortement marquées entre 1750 et 1848.
Et pour Eric Saunier, commissaire scientifique de l'exposition régionale du Havre, les Antilles ont très vite été concernées, et ce, dès 1715, année durant laquelle Louis XIV décèdera d'une gangrène.
Après la mort de Louis XIV, l’État a « libéré le commerce des Antilles », permettant des associations de fonds privés pour organiser des expéditions maritimes. Des rois africains, dans un continent alors en plein bouleversement, achètent des armes en échange d’esclaves pour aller travailler sur des plantations aux Antilles, pour la production de sucre et d’autres produits pour les Européens.
Éric Saunier,commissaire scientifique de l’exposition régionale, maître de conférences en Histoire moderne à l’Université Le Havre Normandie
Une programmation à la hauteur de l'évènement
Durant plusieurs mois, la communauté ultramarine sera mise à l'honneur à travers des artistes de tous horizons. C'est à cette occasion que le Martiniquais Gilles Elie-Dit-Cosaque, réalisateur, graphiste, photographe et artiste plasticien, présentera sa manière "d'interroger l'ici et le maintenant et de confronter les iconographies à l'Histoire, en suggérant des histoires intimes".
À la maison de l'Armateur au Havre également, Elisa Moris Vai a, quant à elle, recueilli pour cette exposition, le témoignage de dix personnes, originaires de Guadeloupe, de La Réunion, de Guyane, Martinique ou Haïti, sur l'esclavage, sous la forme d'une série de portraits, photos et vidéos.
Dans un autre registre, le joueur de Bèlè et de Gwo Ka, deux instruments nés pendant l'esclavage, Philo, se rendra le 13 mai à Rouen pour une prestation au Musée Industriel de la Corderie Vallois où le Martiniquais mettra en avant "la vitalité, la créativité et l'actualité des cultures nées de la créolité".
D'autres activités en lien avec les outre-mer sont prévues à partir du 10 mai comme une dictée en créole, la diffusion du film "Doubout" par le réalisateur antillais Harry Eliezer ou encore une présentation de plantes caribéennes.