Essais nucléaires en Polynésie : des préconisations pour mieux indemniser les victimes

Mieux indemniser les victimes des essais nucléaires. C'est l'enjeu d'un rapport remis ce mardi à l'hôtel de Matignon au Premier Ministre Edouard Philippe. Lana Tetuanui, sénatrice de Polynésie française, préside la commission chargée de faire des propositions au gouvernement. 
Il a été remis comme promis avant la fin de l'année 2018. Le rapport transmis ce mardi à Edouard Philippe est le fruit de six mois de travaux. Une commission présidée par Lana Tetuanui, sénatrice de Polynésie française, propose au Premier Ministre des mesures afin d'améliorer l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. 

L'article 113 de la loi Egalité Réelle Outre-mer (EROM) du 28 février 2017 préconisait la création de cette commission de douze membres. Les députés de Polynésie française Nicole Sanquer et Moetai Brotherson en font partie. 
 

Indemnisation : la fin du parcours du combattant? 

Avant l'adoption de la loi Egalité Réelle Outre-mer en 2017, obtenir une indemnisation relevait du parcours du combattant. Selon la sénatrice Lana Tetuanui, "très peu de dossiers ont été déposés dont la plupart rejetée." La faute à des critères très stricts. 

La loi Egalité Réelle Outre-mer a supprimé l'un des freins à l'indemnisation : la référence au "risque négligeable". Une notion contenue dans la loi MORIN du 5 janvier 2010, l'ancien socle du dispositif d'indemnisation. Le risque de contracter une maladie liée au nucléaire était considéré comme "négligeable".  D'autres facteurs apparaissaient prépondérants dans ces maladies. 

Avec les propositions de la commission dite "de l'article 113 de la loi EROM", le dispositif d'indemnisation devrait être amélioré.
 

Que préconise la commission ? 

Pour être indemnisé, avoir résidé en Polynésie française entre 1966 et 1996 reste une condition sine qua non. Les 210 essais nucléaires français au Sahara algérien et en Polynésie ont été effectués durant cette période.

Toute personne souffrant d'une des vingt-et-une maladies radio-induites recensées dans le décret du 15 septembre 2014 peut aussi déposer un dossier d'indemnisation. 

La commission propose désormais que tout dossier d'indemnisation soit recevable dès qu'un seuil d'exposition d'un millisievert par an (1 mSv) est franchi. Le millisievert est une unité de radioprotection. Il mesure la dose de rayonnements reçus par un individu, que ces rayonnements soient d'origine radioactive ou proviennent d'autres sources comme les rayons X en médecine. 

Le grand changement, c’est que dorénavant, on n’applique plus un seuil de causalité médicale, scientifique, mais un seuil de protection du public qui lui est très bas de 1 millisievert. Le fait de pouvoir faire bénéficier tous les gens qui ont dépassé ce seuil est extrêmement favorable aux victimes. 
Dr Jean-Philippe Vuillez, chef de service de médecine nucléaire au CHU de Grenoble et membre de la commission


Un millisievert est la dose maximale admise pour le public par la législation française. Ce seuil est appliqué par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) depuis janvier 2018. Le CIVEN s'appuyait sur un article du code de la santé publique, sans que ce critère soit inscrit dans la loi d'indemnisation. La commission dite "de l'article 113 de la loi EROM" veut mettre fin à ce vide juridique.
 

Qu'est-ce que ça va changer ? 

Grâce à ce nouveau dispositif, le nombre de dossiers validés par le CIVEN devrait augmenter. Dans une lettre adressée au Premier Ministre le 15 novembre 2018, Lana Tetuanui donne des résultats encourageants. 

Entre le 1er janvier et le 22 octobre 2018, 146 personnes ont fait l'objet d'une décision d'acceptation dont 48 résidentes de Polynésie française, alors qu'entre janvier 2010 et décembre 2017, 96 personnes ont reçu une réponse favorable dont 11 personnes résidentes de Polynésie française.

Des délais prolongés pour déposer un dossier?

Autre préconisation de la commission : étendre à la fin de l'année 2021 la date limite pour déposer un dossier d'indemnisation. Les ayants droit des victimes décédées pourraient bénéficier de trois années supplémentaires. La loi de programmation militaire de 2013 prévoyant un délai de cinq ans pour le dépôt de toute demande, soit fin décembre 2018, pourrait être modifiée.

Dans un communiqué, Matignon indique que le gouvernement "va aussi proposer d’allonger le délai ouvert pour demander le réexamen des décisions de refus déjà prises par le CIVEN avant la loi du 28 février 2017".
 

Quelles mesures seront retenues par l'Etat? 

Au micro de France Ô/la1ère ce mardi, Annick Girardin, ministre des Outre-mer, s'est voulu rassurante.

La plupart des recommandations seront suivies par l'Etat. Annick Girardin


Dépolluer les terres, bâtir un site mémoriel. La ministre des Outre-mer précise ces mesures sans indiquer de calendrier. Les préconisations portées par la commission dite "de l'article 113 de la loi EROM" nécessiteront pourtant plusieurs changements législatifs.

Un centre de mémoire en Polynésie française
Le rapport remis mardi à Matignon préconise aussi de faciliter le travail de mémoire. Un site mémoriel sera bâti en Polynésie française. Le terrain et les bâtiments de l'ancien commandement de la marine à Papeete serviront d'écrin au projet.
Ils étaient jusqu'ici des propriétés de l'Etat.

Edouard Fritch, le président de la Polynésie française, présent à Matignon, a remercié le gouvernement pour la cession du foncier de l'Etat à la collectivité. Une cession inscrite dans le Projet de loi de Finances.

Dans un communiqué, "le Gouvernement confirme son soutien au projet d’institut d’archives et de documentation sur le fait nucléaire porté avec le gouvernement de Polynésie Française."