C’est un rapport plutôt détonnant que vient de livrer la mission d’information du Sénat sur "L’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ?", présidée par Michel Canévet (Union centriste – Finistère), avec pour rapporteur Teva Rohfritsch (Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants – Polynésie). Le document, intitulé "Abysses : la dernière frontière ?", est en effet très critique sur la gouvernance actuelle des grands fonds marins par l’Etat.
Il rappelle notamment "Une évidence oubliée : les Outre-mer sont au cœur des enjeux". Grâce à ses derniers, la France possède le deuxième espace maritime au monde et abrite 10% de la diversité des espèces connues. "Couvrant au total près de 11 millions de km2, la Zone économique exclusive française (ZEE) est principalement située en Polynésie (44%), autour des Terres australes et antarctiques française (20%), en Nouvelle-Calédonie (13%) et dans l'ouest de l'océan Indien (10%). La France métropolitaine ne représente que 3% de cette ZEE", soulignent les auteurs du texte. Les milieux aquatiques ultramarins abritent par ailleurs une richesse exceptionnelle : 55.000 km2 de récifs coralliens et de lagons, 10% des écosystèmes récifo-lagonaires de la planète et 20% des atolls du monde.
Cependant, le rapport relève que les territoires d’Outre-mer sont insuffisamment associés aux stratégies et projets de l’Etat concernant les grands fonds marins, alors que "la question de l'exploration des fonds marins dans la ZEE française, en vue d'une éventuelle exploitation des ressources minérales est de facto une question exclusivement ultramarine." Le document précise que sur le plan juridique, hors minerais ou produits utiles à l'énergie atomique, les collectivités d'Outre-mer sont compétentes en matière de droit minier, tandis que les régions d'Outre-mer le sont pour la délivrance des titres miniers en mer.
Témoignages de nombreux représentants de territoires d’Outre-mer à l’appui, le rapport indique que ces derniers demandent à être mieux informé et associés. Lors des tables rondes organisées par la mission d’information, et dans les contributions écrites, "le manque de transparence de l'État sur le sujet des grands fonds marins a été souligné à de multiples reprises", écrivent les auteurs. Les collectivités veulent plus d'informations sur les données disponibles, elles souhaitent mieux connaître leur environnement maritime et en particulier leurs grands fonds, préalablement à tout questionnement sur l'exploration ou l'exploitation de leurs richesses minières éventuelles.
Par conséquent, rien ne pourra se faire sans un consensus politique et sociétal dans les territoires concernés. Ce sont ces territoires qui ont vocation à porter et à mettre en œuvre les projets, avec l'aide de l'État. Il convient de privilégier le développement de projets dont l'initiative viendrait des territoires dans leurs domaines de compétence. Tenter d'y mettre en œuvre des plans préétablis à Paris ne peut déboucher que sur un échec.
Mission d’information du Sénat sur les fonds marins
D’autres enjeux sont d’importance. La connaissance de leurs grands fonds marins constitue un levier essentiel pour les territoires d’Outre-mer, d'un point de vue géopolitique, économique (nécessité de trouver des dynamiques de développement endogènes) mais aussi social et éducatif (renforcement des compétences locales grâce à la présence de structures de formation adaptées). Il y a aussi de forts enjeux environnementaux quant aux impacts des activités économiques liées à l’exploitation éventuelle des grands fonds marins, dans des contextes ou nature et culture sont profondément liées. Par ailleurs, la préservation de l’environnement "est considéré comme d'autant plus fondamental qu'il est déjà fragilisé par le changement climatique."
Regardez le reportage de Pierre Lacombe au Sénat
Dans ses recommandations, la mission d’information préconise notamment de "Nommer un député et un sénateur représentant les Outre-mer au sein du comité de pilotage de la stratégie et associer les délégations parlementaires aux Outre-mer, ainsi que les exécutifs ultramarins, à chaque étape de mise en œuvre de cette stratégie et notamment aux décisions concernant la localisation et le déroulement des missions d’exploration ainsi qu’à la diffusion de leurs résultats." Elle prône également la reconstitution d’un ministère de la Mer de plein exercice, la nomination un délégué interministériel aux fonds marins, ainsi que le renforcement des moyens humains et financiers de l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et de l’Office français de la biodiversité, en particulier dans leurs implantations ultramarines.