Exposition. Mémoire des formes, une plongée dans le quotidien des jeunes de Mayotte

L'exposition Mémoire des formes se tient du 5 au 12 janvier au 35-37 rue des Francs-Bourgeois, à Paris.
L'association Sadaka présente le résultat de plusieurs semaines de travail à Mayotte, où des artistes ont travaillé avec des jeunes déscolarisés et isolés. Si la démarche vise à changer le regard de ces jeunes sur eux-mêmes, l'exposition cherche aussi à offrir une autre image de l'île.

Une quinzaine de personnes s’affairent dans un va-et-vient incessant de panneaux qu’on déplace et de photos qu’on accroche aux murs. Les membres de l'association Sadaka terminent l'installation de l'exposition Mémoire des formes, visible jusqu'au 12 janvier au 35-37 rue des Francs-Bourgeois, à Paris.

L'exposition restitue le travail réalisé en janvier et février dernier à Mayotte par Julia Daka, Émile Kirsch, Marvin Bonheur et Kevin Dizam. Elle nous plonge dans le quotidien de jeunes mahorais déscolarisés et isolés. Les artistes ont organisé des ateliers avec plus de 120 jeunes, âgés de 6 à 21 ans, pour leur offrir de nouvelles perspectives et pour changer leur regard sur eux même et sur leur territoire.

L'association Sadaka -"charité" en swahili, en arabe et en hébreu- est né dans l'esprit de Julia Daka pendant le confinement. Alors que les élans de solidarité se multiplient dans l’Hexagone, la jeune femme née à Mayotte a envie d’agir pour "les grands oubliés" que sont les Outre-mer. Devenue mannequin, architecte et designeuse, Julia Daka fait un parallèle entre sa propre enfance et la vie des jeunes qu'elle accompagne avec son association. "Quand tout le monde te dit qui tu dois être, comment tu t’émancipes de cette violence ? De cet abandon ?", s'interroge la jeune femme, qui a été élevée par sa grand-mère dans un bidonville de La Réunion.

Pour un projet comme celui-là, on ne peut pas ramener quelqu’un qui vient juste pour faire des photos. Ces artistes ont un grand cœur, ce sont des gens qui ressemblent à Mayotte.

Julia Daka, fondatrice de l'association Sadaka

Mémoire des formes veut aussi offrir un autre regard sur Mayotte, loin de la violence qui fait la Une des médias. "Mayotte, ce n’est pas que des jeunes qui agressent des gens. C’est aussi la plage, des jeux, une certaine liberté. Ces jeunes ont une vraie joie de vivre dans un environnement en tension", détaille Julia Daka.

Poser un autre regard sur soi 

Marvin Bonheur est originaire de la Martinique. Le photographe a grandi dans un quartier difficile du 93, mais a conservé des liens étroits avec son île. "Vu que je suis Martiniquais, je m’attendais à trouver une île familière", se souvient-il. Mais si le décor lui rappelle les Antilles, sa rencontre avec Mayotte est un véritable choc. "C’est très vert, mais bien plus sauvage, plus brut. Tout est moins organisé, même la végétation. J’ai déjà connu la précarité extrême, mais là, c'était encore autre chose."

Le photographe Marvin Bonheur replace l'une de ses œuvres.

Un homme plongé dans ses pensées face à la mer, une jeune femme l’œil plein de fierté sur sa moto... La plupart des prises de vue de Marvin Bonheur sont en contre-plongée, par respect pour ses sujets. "On les voit eux de haut. L’idée, c'est de sublimer les oubliés de notre société, les valoriser, les faire se sentir exister", explique-t-il.

Il porte un regard tendre sur l’île malgré toute sa violence. Il a su capter des moments très doux du quotidien de ces enfants.

Julia Daka, à propos du travail de son ami, le photographe Marvin Bonheur

Outre son propre travail de photographe, Marvin Bonheur a distribué des appareils photos jetables aux jeunes qu’il encadrait. "Leur mission, c'était de trouver quelque chose de beau. Ce n’est pas toujours évident quand on vit dans un endroit toujours pointé du doigt. La première étape, c'est soi-même, en tant que local, de prendre le temps de regarder autour de soi et de trouver le beau", explique le photographe, qui a lui-même changé de regard sur la cité de son enfance et veut partager ce déclic.

Photo et design d'objets

La démarche fonctionne, comme dans le cas de cet adolescent tout en dureté, le visage fermé, arrivé à reculons à l'atelier. Alors que les autres ont pris en photo des bâtiments ou leurs camarades, lui n'a photographié que des fleurs. "J’y ai vu une espèce de message. Une envie de gaité, de couleur...", confie le photographe.

"Il y avait une énergie folle, ils étaient tous fiers d’eux", confirme Kevin Dizami. À partir d'objets ramassés le long des routes, le designer a organisé des ateliers autour de la construction de chaises. L'une d'elle est exposée. Le contraste est saisissant entre les matériaux utilisés -un siège en plastique moulé et une cagette- et l'inscription sur le dossier, "King", qui rappelle un trône. 

S'il a pu lire l'enthousiasme dans les yeux des jeunes qu'il a encadrés, l'expérience a aussi laissé un goût amer à Marvin Bonheur : "J’ai ressenti un grand sentiment d’impuissance dans l’avion. J’ai beaucoup culpabilisé. C’était très violent. Je n’avais pas envie de les laisser sur cette île, j’avais envie de les prendre avec moi. Comme tous les enfants de France, ils ont le droit de rêver, d’étudier, de vivre…"

L'exposition Mémoire des formes interroge les thèmes de l'émancipation et de l'identité. Une autre résidence est prévue prochainement. Trois ou quatre nouveaux artistes s'envoleront pour Mayotte pour travailler autour du matriarcat dans la société mahoraise.