"Nous devons améliorer l'Ehpad pour en faire un cocon familial et qu'on puisse se retrouver comme si on était à la maison." La sénatrice de Guadeloupe Solanges Nadille (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) avoue qu'elle préférerait être accompagnée à domicile si elle venait un jour à devenir dépendante. Car, en Outre-mer, il est de tradition de prendre soin de ses anciens dans la sphère familiale, bien loin des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Mais, les territoires ultramarins, et plus particulièrement les Antilles, connaissant un vieillissement accéléré de la population, une question reste en suspens : qui s'occupera des personnes âgées lorsque la plupart des habitants seront trop vieux pour s'occuper les uns des autres ? D'autant que l'exode de la jeunesse vers l'Hexagone ou l'étranger s'accélère lui aussi.
Dans un rapport sénatorial présenté mercredi 25 septembre, les sénateurs, dont Solanges Nadille, ont fait l'état des lieux des Ehpad en France. Globalement, ces lieux d'accueil et de soins se trouvent dans une impasse financière depuis trois ans. "Non seulement la proportion d’Ehpad déficitaires a augmenté, mais l’ampleur des déficits s’est aggravée, exposant de nombreux établissements à des difficultés de trésorerie à court terme", alertent les élus. Et les établissements, devenus trop chers et victimes d'une culture du soupçon de maltraitance, sont de moins en moins fréquentés.
C'est aussi le cas en Outre-mer, explique le rapport. Même si les logiques liées au grand âge sont bien différentes dans les départements et régions ultramarines que dans l'Hexagone. "La solidarité familiale, notamment intergénérationnelle, permet aujourd’hui à de nombreuses personnes âgées de ne pas aller dans un établissement d’hébergement", souligne les rapporteurs. Solanges Nadille a tenu à évoquer la question particulière des Outre-mer dans le document.
Une démographie explosive
Cette préférence du domicile à l'Ehpad explique pourquoi il y a si peu de structures d'accueil en Outre-mer. Par exemple, il n'y a qu'une seule maison de retraite publique en Guadeloupe, dans la commune des Abymes. Toutes les autres sont privées. Et, malgré ce peu d'établissements disponibles, ils ne font même pas le plein. Le taux d'occupation des Ehpad en Guadeloupe s'élevait à 80 % en 2022, dit le rapport. En cause : cette culture de la solidarité familiale, le manque de communication sur les infrastructures d'accueil, mais aussi le prix.
Nous avons une population vieillissante avec des difficultés à trouver un hébergement pour les personnes lorsqu'elles deviennent dépendantes, soit parce qu'il n'y a pas la structure adéquate dans le secteur, soit c'est un problème financier.
Solanges Nadille, sénatrice de Guadeloupe
"En moyenne, en Guadeloupe, le prix d’une journée [en Ehpad] est fixé à 106,26 euros, soit 3 300 euros par mois environ", s'étonnent les parlementaires qui ont travaillé sur ce rapport. Ils rappellent que le revenu médian annuel en Guadeloupe était de 15.770 € en 2020, contre 24.490 € en France hexagonale.
Or, même si l'option Ehpad n'est pas privilégiée dans les familles ultramarines, il est nécessaire de rendre les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes accessibles, alerte la sénatrice guadeloupéenne.
Car, si les Antilles et La Réunion ont longtemps été des départements parmi les plus jeunes de France, la tendance s'est complètement inversée (la Guyane et Mayotte ne sont pas étudiées dans le rapport, les deux départements vivant au contraire un fort rajeunissement de ses habitants). La population y vieillit inlassablement. Selon l'Insee, d'ici 2030, le nombre de Guadeloupéens âgés de 75 ans et plus augmenterait de moitié. Ajouter à cela la hausse des départs des jeunes vers l'Hexagone ou l'étranger pour les études ou le travail... L'équation démographique est explosive.
Il ne sera pas possible de faire reposer la prise en charge des personnes dépendantes sur la solidarité familiale lorsque 50 % de la population aura au moins 58 ans en 2070. Par ailleurs, l’évolution des structures familiales (famille monoparentale, enfant unique, décohabitation, etc.) va amenuiser les ressources humaines et financières à disposition pour aider les proches dépendants. Enfin, les difficultés financières que connaissent les jeunes générations vont conduire à une concurrence entre le soutien financier aux parents et aux enfants.
Rapport sénatorial sur les Ehpad en France
Pour éviter un drame social en Outre-mer, "il faut diversifier les structures d'hébergement, créer une désirabilité des Ehpad et soutenir la formation du personnel soignant sur place, et, à terme, limiter le reste à charge du résident", liste la sénatrice Solanges Nadille.
Dans le cadre du Ségur de la santé de 2020, le gouvernement avait prévu un plan de rattrapage de l'offre d'Ehpad en Outre-mer et en Corse à hauteur de 75 millions €, dont 60 millions pour les Outre-mer. Seuls 40 % des fonds ont été utilisés, regrette la parlementaire guadeloupéenne. Le rapport préconise une meilleure coopération entre les collectivités territoriales et les ARS.
"Dans les traditions locales, le parent reste avec son enfant. Sauf que ce n'est plus tenable puisque nous avons l'exode des jeunes vers l'Hexagone ou vers d'autres territoires (...). Nous ne pouvons plus tenir", dit l'élue. Pourtant, il ne s'agit pas non plus de forcer tout le monde à placer les personnes âgées dépendantes dans des structures d'accueil. Les sénateurs estiment qu'en "développant une offre d’habitat intermédiaire (...), à proximité voire sur le terrain des Ehpad, un sas entre le domicile et l’hébergement pourrait être constitué, facilitant les transitions". De quoi se sentir "comme à la maison".