Anticiper les risques, c’est son quotidien. Car depuis tout jeune, Benjamin est un survivaliste.“Mes nombreux déplacements dans les pays pauvres et dangereux, comme Haïti, m’ont appris que tout peut basculer en quelques heures. Il faut être prêt d’autant plus quand on est insulaire et que l’on a une famille à charge”, explique le Guyanais, père de trois enfants.
Anticipation et résilience
Le mouvement survivaliste est né aux Etats-Unis dans les années 1960-1970 dans un contexte de Guerre Froide et de crainte d’une attaque sur le sol américain. S’il est à l’origine animé par des idéologies d’extrême droite, aujourd’hui il s’en est bien éloigné. “Il y a eu un adoucissement et une montée en rationalisation”, note Bertrand Vidal, sociologue et auteur du livre Survivalisme - Êtes-vous prêts pour la fin du monde ? (édition Arkhe).Fini le cliché du survivaliste qui se terre dans son bunker entouré d’armes et de boîtes de conserve. “La plupart du temps nous vivons comme tout le monde, développe Benjamin. Ce qui nous démarque, c’est une anticipation de nos besoins face à une crise éventuelle”. Face à des scénarios catastrophistes type crises environnementales, nucléaires ou encore épidémiques, “le propre du survivalisme est la résilience”, résume-t-il.
Prêts face à la pandémie
Face au Covid-19 et aux mesures de confinement, le Guyanais était donc paré.J’ai favorisé les circuits courts avant que les gens se tournent vers eux pour éviter les files dans les supermarchés et limiter le contact avec d’autres personnes . Nous avons stocké et cuisiné des légumes frais et viandes fraîches pour de plus longues périodes afin de minimiser nos déplacements. Nous avons depuis toujours, dans tous nos véhicules et sur nous-mêmes, des kits de premiers soins incluant des gants jetables, des masques FFP2 et du gel hydroalcoolique. Mes enfants savent se servir de tout cela. J’ai aussi pu distribuer la plupart de mes masques jetables aux personnes sensibles de mon quartier qui n’étaient pas prêtes.
- Benjamin, 42 ans, survivaliste guyanais
Survivaliste également, Jonathan était lui “à des années lumières” de penser que le coronavirus toucherait la Guadeloupe. Pris au dépourvu, le Guadeloupéen de 33 ans n’a pas eu le temps de s’équiper. “Les masques avec cartouches rechargeables sont l’idéal mais étant sur une île, les stocks sont vite partis, relate-t-il. Nous n’avons que des masques jetables à utilisation unique donc inappropriés pour rester en confinement longtemps.”
S’améliorer pour la prochaine crise
Mais Jonathan reconnaît que sa passion pour la survie ne les a pas laissés, sa femme, son jeune fils et lui, démunis. “On a une zone de repli avec de l’eau courante tirée d’une rivière et des panneaux solaires, détaille-t-il. Nous avons aussi plusieurs stocks, chez nous, chez mes parents et dans un conteneur marchand. On y entrepose du matériel, de la nourriture, un groupe électrogène… On peut tenir trois mois avec ça”.Pour les sorties, un protocole a été mis en place. Il est le seul à s'aventurer en dehors de la maison et quand il rentre, c'est en tenue d'Adam. "Je laisse tous mes vêtements devant la porte d'entrée et je vais directement me laver. Mes vêtements passent ensuite à la machine".
Quant à son manque d’anticipation, le Guadeloupéen en tire la leçon. “Nous ne manquons de rien et cette pandémie nous a permis de voir nos lacunes et les améliorations à apporter pour les prochains événements.”
Le cas particulier des Outre-mer
Si les survivalistes se préparent à des catastrophes qu’ils ont de grandes chances de ne jamais vivre, en Outre-mer c’est un constat à nuancer.Les Outre-mer sont davantage touchés par les catastrophes naturelles. Donc là-bas, les survivalistes vont peut-être moins enromancer le fictionnel. Ils vont plus s’organiser autour des risques naturels. Mais ils vont quand même se préparer à d’autres catastrophes comme les épidémies par exemple.
-Bertrand Vidal, Sociologue
C’est parce qu’il est né sur une île exposée aux cyclones que Jonathan est devenu survivaliste. Sa femme le soutient mais n’adhère pas au mouvement. “Elle vient de métropole, explique le Guadeloupéen, elle n’a pas grandi là où moi j’ai grandi. Elle n’a pas connu les semaines sans eau avec des arbres couchés par terre tout autour de la maison”.
Si le mode de vie et les théories des survivalistes en surprend plus d’un, Jonathan espère que la pandémie qui sévit actuellement va permettre d’ouvrir les yeux sur le mouvement. “Nous sommes souvent moqués. Mais là, ceux qui sont les mieux préparés, c’est nous”.