Face au COVID-19, deux aides-soignantes ultramarines mobilisées dans l’Hexagone

Elles ont été en première ligne dès le mois de mars, et lors des deux vagues de la pandémie. Après plusieurs mois passés au sein d'unités accueillant des patients atteints de coronavirus, elles témoignent.

Ils disent être éreintés. Fatigués. Parmi le personnel soignant, tous espèrent que la fin de la pandémie est proche, pour clore une année particulièrement difficile. Charlotte Joseph travaille de nuit dans un centre gérontologique des Hauts-de-Seine. “C’était une année très fatigante, même avant le covid”, explique l’aide-soignante, qui se souvient des grèves des transports du début de l’année 2020. Elle dormait sur son lieu de travail pour échapper aux trois heures de trajet nécessaires pour rejoindre son domicile.  

Quand le virus est arrivé, Charlotte et ses collègues étaient démunis. “C’était l’angoisse, on découvrait. On était vraiment en première ligne, raconte-t-elle. Pendant la première vague, on ne connaissait pas du tout ce virus, on n’avait pas du tout d’information. On n’avait pas le matériel nécessaire pour faire face.”

Au fil des semaines, son service reçoit “des masques, du gel, des surblouses”. Et des renforts. “Malgré cela c’était très dur, souffle-t-elle. J’ai travaillé avec des patients covid. On peut toujours faire attention, nettoyer, désinfecter, mais l’inquiétude est là. La fatigue est là. On a toujours peur de l’attraper”.

Il y a eu des professionnels de santé décédés. Ils ont perdu leur vie pour soigner les autres. Quand on vient travailler, on sait les conséquences.

Charlotte Joseph, aide-soignante


Pour ne pas risquer de contaminer ses proches, l’aide-soignante a mis en place des mesures sanitaires jusque sous son toit : "Je faisais très attention. Dès que je rentrais à la maison je mettais les habits au sale, dehors, sur le balcon." Elle prend une douche au travail, une fois sa journée finie, puis une autre, à peine arrivée à la maison.  

Une deuxième vague en demi-teinte

Lorsqu’elle a été réquisitionnée pendant la deuxième vague pour prêter main forte au personnel soignant débordé face à l’afflux de patients, la Guyanaise Mathilde Pascal (nom d’emprunt) ne s’attendait pas à assister à tant de décès. “Il y a vraiment eu beaucoup de morts. Mais toutes les morts ne sont pas uniquement liées au COVID-19. Le virus va aggraver leurs problèmes de santé, accentuer les pathologies qu’ils ont déjà, et c’est ça qui va entraîner leur mort… Il y a quelques jours j’ai suivi une patiente qui avait un cancer, et avoir le covid a été fatal. D’autres personnes arrivent autonomes et succombent rapidement.” Cette élève aide-soignante d’une vingtaine d'années, qui vit à Lille, avoue être encore marquée.

Charlotte Joseph, elle, est rodée. “Après la première vague on était épuisés, se rappelle-t-elle. La deuxième vague a été beaucoup plus facile. L’angoisse était toujours là, mais on avait les gestes barrières, on savait quoi faire.” Au moindre doute, les patients sont placés à l’isolement. Des protocoles stricts sont mis en place.

Mais appliquer les gestes barrières représente une charge de travail supplémentaire. Dans son service de 110 lits, il y a une aide-soignante pour 37 patients. Et une seule infirmière. “On prenait du temps pour rassurer les patients qui n’avaient pas de visites, ils ne comprenaient pas pourquoi leurs familles ne venaient pas, raconte l’aide-soignante. Ça demande un investissement supplémentaire.” 

“On a été payé 1 euro de l’heure” 

Malgré la surcharge de travail, les deux aides-soignantes ultramarines ont pu compter sur des équipes soudées et efficaces. Charlotte Joseph salue la solidarité entre ses collègues, “un plus malgré la fatigue”. Mathilde Pascal, elle, est plus amère.  “Quand le dispositif plan blanc a été mis en place,  ils nous ont enlevé de nos lieux de stage pour nous mettre dans les services COVID et nous faire travailler en tant qu’aide-soignant. On est au plus près des patients malades.”

Au début, comme on est encore élèves à l’école, on n’était même pas bien payés, et pourtant on travaillait de 20h45 à 7h du matin tous les jours. Tout ça pour être payés 38 euros la semaine, donc 1 euro de l’heure. On mettait en danger notre santé et celle de notre entourage pour ne pas être payé correctement…

Mathilde Pascal, élève aide-soignante


“Il y a eu un manque de considération total pour notre formation, notre travail, notre santé, renchérit Mathilde Pascal. Alors on a écrit une lettre à l’ARS, on en a parlé au syndicat du personnel à l’hôpital. J’ai aussi vu une pétition qui circulait à un moment.”
  
Comme elle habite à Lille, Mathilde Pascal pourra bénéficier d’une prime exceptionnelle attribuée par la région Hauts-de-France.  Charlotte Joseph a déjà reçu une revalorisation salariale. "Tous les agents en ont bénéficié, sauf le service de soins à domicile. Alors que c’est du soin. Pourquoi nous et pas eux ? Ils font le même travail que nous. C’est un problème. Il faut de la solidarité", martèle-t-elle.

L’angoisse d’une autre épidémie

“Les gens font n’importe quoi. Avec les fêtes qui arrivent, plus personne ne fait attention, on  a bien vu toutes les fêtes clandestines qu’il y a eu, constate Mathilde Pascal. “Il risque d’y avoir une autre crise, prédit l'étudiante. Mais je ne suis pas experte.” 

Charlotte Joseph devait profiter des fêtes pour retrouver sa famille en Guadeloupe. Elle a finalement annulé ses billets. "Je ne veux pas partir là-bas. Je ne serais pas tranquille, raconte-t-elle. J’aurais peur de contaminer les autres, peur de tomber malade." Elle a même renoncé à passer Noël chez sa fille, dans le sud de l’Hexagone. "Je resterai à la maison. Ça n’en vaut pas la peine. On pourra toujours faire un repas après !"

L’arrivée promise d’un vaccin devrait endiguer la pandémie, et permettre au personnel soignant de souffler un peu. 

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