Les cales des navires négriers, l’enfer de la plantation, le sucre taché de sang dégusté en Europe, les injustices faites aux tirailleurs dits sénégalais, la ségrégation, mais aussi la négritude, le mouvement Black Lives Matter et celui des droits civiques... Le spectacle Black Label nous entraîne dans une histoire du racisme, de la violence et des luttes. Un voyage de deux heures qui débute au Mali, en 1222, qui passe par les Antilles, la Guyane, Haïti, la Belgique, les États-Unis ou le Cameroun, et qui se termine en une vibrante évocation des violences policières d’aujourd’hui.
La pièce, présentée à Marseille dans le cadre du Festival La 1ère, emprunte son titre à un recueil de l’écrivain Léon-Gontran Damas, l’un des pères fondateurs de la négritude. Le metteur en scène, David Bobée, a monté le spectacle en collaboration avec JoeyStarr, avec qui il a déjà travaillé en 2019 pour Elephant man. C’est lui qui a offert Black Label au rappeur devenu acteur. "Ce jour-là, on passe un pacte. On se dit ‘On va en faire quelque chose’, rembobine David Bobée. On a essayé de mettre en scène les écrits des autrices et des auteurs africains et afro-descendants qui parlent et écrivent sur l’histoire du racisme." "C’est du legs. Moi-même, j’ai découvert plein de choses : j’ai ce bonheur de le rendre, de le jouer", complète JoeyStarr.
Les textes, les vraies stars du spectacle
Partie d’une centaine de textes, l’équipe en a sélectionné une grosse vingtaine. Léon-Gontran Damas bien sûr, mais aussi Sonny Rupaire, Aimé Césaire, Assa Traoré, Tracy K. Smith, Malcom X… Parfois, le rappeur pointe derrière l’acteur : on retrouve du slam dans la manière d’incarner les manifestes ou les poèmes et, surtout, l’une des œuvres est une composition récente du cofondateur d’NTM.
Ces textes concernent tout le monde, ce n’est pas qu’une histoire d’Africains, c’est une histoire d’humains.
JoeyStarr
La mise en scène est sobre, le plateau presque nu. Des instruments, un pupitre et quatre artistes, habillés en noir de la tête aux pieds, comme pour mieux s’effacer derrière les mots qu’ils déclament. "Ce sont les textes les vraies stars de ce spectacle", confirme le metteur en scène.
Sur scène, il y a JoeyStarr bien sûr, mais aussi la musicienne et poétesse d’origine martiniquaise Sélène Saint-Aimé, le danseur et chanteur Nicolas Moumbounou et l’artiste sourd Jules Turlet. "Chansigneur", le Guadeloupéen livre une performance artistique à part entière, mêlant danse et théâtre, très éloignée de la simple traduction. Son art s’impose au milieu de la scène, sous les projecteurs, loin de la place habituellement réservée à la langue des signes, bien souvent cantonnée à un petit carré incrusté en bas d’un écran.
Plébiscite du public
Chacun à leur façon, les quatre interprètes se font les porte-voix de poètes d’aujourd’hui et d’auteurs morts depuis longtemps. Quatre voix qui tremblent, pleines de colère, qui se brisent parfois, et qui portent, surtout. "À chaque fois, les textes me donnent la chair de poule, confie Sélène Saint-Aimé. On a mis en avant des auteurs que beaucoup ne connaissent pas, que j’invite à découvrir ou à redécouvrir, parce que ce sont des textes qui ont été écrits il y a des décennies et qui sont encore valides aujourd’hui. Leurs pensées sont complètement actuelles."
Les luttes antiracistes ont une origine et connaitre son histoire donne de la force. Ça vient combler un besoin, une nécessité absolue contre ce qui grandit aujourd’hui : le racisme.
David Bobée, metteur en scène
Frissons, rappel et ovation debout, le public est conquis. "La claque. J’en ai pleuré", souffle Yves à la sortie. Malentendant, il est venu spécialement parce que la pièce était signée en direct. Une opportunité rare : les spectacles vivants sont très rarement adaptés aux sourds et malentendants. "Je trouve ça génial pour l’accessibilité, le signeur était extraordinaire, confirme Anne, sa compagne. Les textes étaient très beaux. C’était formidable, très fort politiquement."
Après des dates à Lille, Marseille et Lyon, la tournée de Black Label est prévue pour 2025.