Fred Deshayes : "Il faut cesser d’accuser le méchant colonisateur. Soyons responsables de notre avenir".

Fred Deshayes, leader du groupe Soft
Le 5 mai prochain, à la Cigale, le groupe de créole-jazz Soft fêtera ses 20 ans d’existence. Retour avec Fred Deshayes, son leader, sur l’histoire d’un groupe atypique, qui a refusé la professionnalisation tout en professant un engagement militant.

Outremer-La 1ère :Soft (créé en 2002) a un peu plus de 20 ans aujourd’hui. Quelle était votre intention de départ en créant ce groupe?

Fred Deshayes. : Au départ, Soft est un projet musical acoustique basé sur les rythmes traditionnels de la Guadeloupe. Nous n’étions clairement pas conçus pour l’industrie du disque. C’est sans doute pour ça que nous n’avons que quatre albums à notre actif, et moi deux à titre personnel. Ce que l’on veut, c'est une grande carrière pour notre style, pas pour nous. On est content, car beaucoup de musiciens s’inspirent de notre travail. Si tu es intelligent, tu l’acceptes et tu le reconnais. Je n’ai pas de problème à dire que je suis influencé par Patrick [Saint-Eloi, NDLR] ou Jacob [Desvarieux, NDLR]. En fait, notre choix nous a prémunis contre la nécessité de faire de la musique commerciale. Quand c’est ton gagne-pain, tu dois produire des hits, être ami avec le réseau. Moi, je n’ai pas ce problème. Nous créons avec une certaine liberté.

Outremer-La 1ère : Dans les années 80, Kassav a permis aux Antillais de recouvrer une certaine fierté. Peut-on dire que Soft a eu cette même volonté ?

Fred Deshayes : Kassav est une belle illustration de l’industrie du disque portée au niveau national et l’international. Les musiciens et chanteurs du groupe avaient la volonté de conquérir le monde avec le zouk. Ils y sont parvenus avec le succès que l’on sait. Succès qui a nourri leur fierté. Nous, nous sommes plus mesurés dans les moyens, et un peu à contre-courant avec une contrebasse, une guitare acoustique. Mais pour le reste, oui, nous développons une musique consciente. Les jeunes nous disent "respect". La longévité ajoute à la respectabilité et nous conforte dans notre option musicale.

Avec des sons doux, notre musique appelle à la responsabilité locale. On doit comprendre que nous sommes responsables de notre avenir. Il faut cesser d’accuser le méchant colonisateur ou le méchant français. On doit avoir conscience de ce que nous sommes. Et cela sans concession. Des fois, on s’en prend à des racistes. C’est le système qui les rend racistes. Je ne confonds pas les individus et les systèmes. Les problèmes de la Guadeloupe viennent de la Guadeloupe et de sa population. Il ne faut pas chercher ailleurs les solutions. Ces temps-ci, sur les réseaux sociaux, circulent des appels à rappeler pendant les Jeux Olympique les problèmes d’eau que nous rencontrons sur l’île. Mais l’eau est une compétence communale. Si la solution existe, elle se trouve en Guadeloupe. Ce n’est pas la peine d’en appeler au monde entier.  Il est difficile pour moi d’éviter la récupération, surtout quand tu es sans concession. Mais je sais que celui qui tient des paroles engagées ne se fait pas que des amis. La liberté est une prise de risques. Et je veux changer les relations des Guadeloupéens avec leur pays et avec l’extérieur.

La musique, c’est un art comme la peinture, dont la fonction est de dire la société.

 

À vous entendre, on a l’impression que vous, les artistes, tentez de compenser l’insuffisance des politiques.

 Fred Deshayes : On n’essaie pas de suppléer la carence des politiques. Mais c’est la fonction du gwo-ka de raconter ce que nous sommes, comme le calypso le fait à Trinidad et les musiques traditionnelles dans l’ensemble de la Caraïbe. La musique, c’est un art comme la peinture, dont la fonction est de dire la société.

Le groupe Soft fêtait ses 20 ans d'existence le 8 juillet 2023 au Gosier, en Guadeloupe

Finalement, à côté de Kassav, il y a de la place dans le paysage musical antillais?

Fred Deshayes : Kassav s’est donné pour mission d’inonder le monde avec le zouk. On peut leur dire merci. Ce sont des géants. On ne peut pas le leur reprocher. Tant mieux pour notre musique. Est-ce que les Jamaïcains se plaignent de la place prise par le reggae et Bob Marley connus dans le monde entier ? À titre personnel, j’aime l’ombre de Kassav. J’en profite avec les conseils de Jocelyne. Et avec nos guitares, je me souviens de longues soirées passées avec Jacob [Desvarieux]. Je rappelle aussi qu’en 2019, Jacob est avec moi sur le clip de l’une de mes chansons (Midnight). Je regrette juste que la France n’ait pas reconnu le groupe à sa juste valeur comme l’ont fait l’Afrique et d’autres pays dans le monde.

 Outremer-La 1ère : On attendait votre prochain album en décembre dernier. Où en êtes-vous ?

Fred Deshayes : Pour nos 20 ans, nous avons sorti le titre "Soft-là". On ne l’envoie qu’à une personne que l’on connaît. Qui l’envoie à d’autres amis. Et le 5 mai, on verra qui connaît la chanson. Quant au prochain album, on attend. Le premier, nous l'avions sorti en 2005. Donc, celui que nous préparons sortira en 2025. Une autre date anniversaire.

Que ressentez-vous à l’approche du concert de dimanche ?

Fred Deshayes : C’est pour nous une grande joie de faire la Cigale. En janvier 2006, c’est dans cette salle que nous avons effectué notre premier concert. Nous n’avions pas de disques en vente, mais la salle était pleine. On veut revivre ça.