Dans un rapport publié ce lundi 17 juillet, qui porte sur la période 2016-2022, la Cour des comptes s'intéresse à la gestion de la ressource en eau à l'heure du réchauffement climatique. Si l'eau vient à manquer presque partout en France, "la situation est alarmante dans les territoires ultramarins".
Jusqu'à 80% de fuites en Guadeloupe
En 2021, "83,6 % de la population française a reçu une eau dont la qualité respectait en permanence les limites fixées par la réglementation", note le rapport. Cette moyenne nationale cache des disparités : "dans les départements d’Outre-mer, la situation est tellement dégradée que le gouvernement a décidé en 2016 d’un plan eau spécifique", rappelle la Cour des comptes, qui estime qu'il "est trop tôt pour porter une appréciation sur sa mise en œuvre et ses résultats".
De même, "88,4 % de la population française hexagonale a accès à des installations sanitaires gérées en toute sécurité", indique la Cour des comptes. Si la situation n'est pas parfaite dans l'Hexagone (7,5 millions de personnes n'ont pas accès à de telles installations), elle est "alarmante" dans les territoires ultramarins selon l'institution.
En Guyane, 35 000 personnes n'ont pas accès à des services de base d'eau potable. Elles sont 41 000 à Mayotte. Le rapport pointe également le problème de l'état des réseaux de distribution de l'eau aux Antilles. En moyenne en France, environ 20% du volume d'eau introduit dans le réseau est perdu à cause des fuites. En Martinique, le taux de perte global s'élevait à près de 48% en 2019. En Guadeloupe, le rendement du réseau d'eau potable est encore plus faible : le taux de perte s'établit à 60,4 % en moyenne, et peut atteindre 80 % sur certaines zones du territoire.
Gérer les conflits d'usage
Plus la ressource se tarit, plus les conflits d'usage se multiplient. Qui prioriser entre un agriculteur, un particulier, ou une industrie lorsque l'eau manque ? La Cour des comptes cite le cas de la rivière Blanche, en Martinique, qui fournit 36% des prélèvements d'eau de surface de l'île. Lorsque le débit est faible, deux communautés de communes (la communauté d'agglomération du centre de la Martinique et celle de l'espace sud de l'île) "se disputent l'utilisation de cette eau". Malgré des accords signés et des autorisations de prélèvement précis, "le conflit persiste" pointe la Cour des comptes. La résolution de ces conflits est un enjeu sanitaire et agricole, mais aussi économique, car la disponibilité en eau est une condition essentielle à l'installation d'industries ou d'infrastructures touristiques par exemple.
Des connaissances limitées
En France, les connaissances sur la ressource en eau sont limitées, tout comme celles sur les prélèvements effectués. "Les informations disponibles datent souvent de plusieurs années alors que tout le monde convient de la rapidité des changements en cours, explique la Cour des comptes. Les schémas d’aménagement et de gestion des eaux, élaborés sur une durée moyenne de neuf ans, ne sont pas toujours actualisés et parfois ne sont plus adaptés à la situation." Certains prélèvements sont par ailleurs non déclarés, par des fraudeurs ou parce que les usagers ne savent pas qu'il faut prévenir l'administration, ce qui complique encore l'état des lieux.
Même lorsque des études sont menées, leurs conclusions ne sont pas toujours suivies d’effets ni mises à jour. Or l’actualisation régulière des objectifs est indispensable pour s’assurer de leur pertinence dans un contexte du changement climatique fortement évolutif.
Rapport public thématique, La gestion quantitative de l'eau en période de changement climatique
Le manque de connaissances freine la mise en place de politiques publiques efficaces. Mais ce n'est pas le seul frein pointé par la Cour des comptes : en France, la gestion de l'eau est partagée entre l'État et les collectivités. La multiplication des acteurs -qui ne se coordonnent pas forcément- et le manque de décisions prises à l'échelle locale limite la réactivité des autorités.
À noter que le manque de connaissances ne concerne pas uniquement la ressource, mais également les solutions expérimentées pour pallier le manque d'eau. Ainsi, la Cour des comptes s'étonne de "l'absence d'évaluation de l'impact environnemental de l'usine de désalinisation de l'eau de mer à Saint-Martin". Cette usine fournit toute l'eau potable distribuée par le réseau public de l'île. Or le dessalement de l'eau de mer est une technique controversée : couteuse en énergie, elle rejette dans la nature de la saumure, une eau très concentrée en sel potentiellement dangereuse pour les écosystèmes.