Gisèle Pineau : "Dans mes romans, l’exil est souvent présent, car c’est mon histoire et celle de l’humanité" #MaParole

Gisèle Pineau au Festival la 1ère
Dans #MaParole, la romancière Gisèle Pineau narre avec un art du récit sans pareil son parcours d’écrivaine et d’infirmière en psychiatrie, ses souvenirs d’enfance, sa grand-mère et la puissance des secrets de famille. Un récit à écouter absolument.

Auteure d’une vingtaine de romans, de livres pour la jeunesse et de plusieurs essais, Gisèle Pineau évoque notamment dans ses récits la Guadeloupe, l’exil, le rôle des femmes, les secrets de famille et l’esclavage. Le petit dernier se nomme La vie privée d’oubli (éditions Philippe Rey).

1Man Julia

Gisèle Pineau, native du 14e arrondissement de Paris se forge très tôt un imaginaire prolifique. Son père est ce que l’on appelle un dissident, un résistant comme on dit dans l'Hexagone. Il figure dans le documentaire réalisé par Euzhan Palcy sur cette page méconnue de l’histoire de France. Tout jeune, à 19 ans, il répond, de la Guadeloupe, à l’appel du général de Gaulle. Il rejoint le combat pour la France libre. Après-guerre, il s’engage dans l’armée et épouse la mère de Gisèle Pineau. La famille s’installe dans l’Hexagone dans un village de la Sarthe puis au Kremlin-Bicêtre en région parisienne. Les Pineau vivent aussi pendant un an au Congo-Brazzaville. C’est après ce séjour en Afrique que le père de passage en Guadeloupe décide d’enlever sa propre mère. "Il ne supportait plus que son mari la frappe". Il la cache, lui fait faire des papiers et l’emmène dans l’Hexagone, sans trop lui demander son avis.

L’enfance de Gisèle Pineau est marquée par cette grand-mère, Man Julia grâce à laquelle elle découvre l’histoire de la Guadeloupe et la langue créole. Man Julia aime raconter des contes. Elle parle de l’histoire de la Guadeloupe et de l’esclavage. Elle prie tous les soirs et entraîne Gisèle dans sa pratique religieuse. On retrouve Julia dans plusieurs romans de Gisèle Pineau, L’exil selon Julia, Un papillon dans la cité, mais aussi Mes quatre femmes.

Souvent confrontée au racisme de ses camarades et à la brutalité de certaines institutrices, Gisèle Pineau ne parle guère de ces agressions à la maison. Elle préfère se taire et bien étudier à l’école. Elle ne parvient pas à nouer d’amitiés et se réfugie dans les livres et l’écriture. Toute petite, elle rédige un premier roman qu’elle recopie en dix exemplaires. Elle le relie, son frère dessine la couverture et part le vendre dans la cité.

Dans la famille Pineau, il y a de nombreux secrets. Ce frère aîné originaire du Sénégal, ces deux frères d’Indochine, ces deux sœurs de Tahiti. Les années passent et la romancière décrypte l’histoire de sa famille. Elle s’interroge sur les raisons qui ont poussé ses parents à lui donner un prénom si lourd à porter. Gisèle, sa tante, est morte de chagrin à l’âge de 27 ans. "À 27 ans, je croyais que j’allais disparaître", se souvient-elle.

À l’adolescence, la romancière s’installe avec sa famille en Martinique de 1970 à 1972. Le père, excédé par le "non" au référendum du général de Gaulle, ne veut plus rester dans l’Hexagone. Il ne comprend pas ces français qui s’opposent au "grand homme". En Martinique, Gisèle Pineau respire. Terminées les insultes racistes, même si on lui fait sentir qu’elle n’est pas une "vraie Guadeloupéenne".

2Infirmière en psychiatrie et romancière

En 1975, Gisèle Pineau vient suivre des études de lettres à Nanterre. Au bout de deux ans, elle abandonne. Elle n’apprécie guère de devoir étudier le latin et la linguistique, deux matières qui la barbent au plus haut point. Elle ne parvient pas à valider ses UV (les Unités de valeurs nécessaires à l’obtention de la licence). Un jour par hasard, en suivant un ami, elle passe un oral pour devenir infirmière en psychiatrie sans vraiment l’avoir décidée. Elle est acceptée et embrasse un métier qui la passionne.  

Pendant 20 ans, elle travaille en Guadeloupe au centre hospitalier psychiatrique de Saint-Claude. Elle apprécie particulièrement ce travail qui, grâce à des horaires de nuit ou d’après-midi, lui permet d’écrire le matin. Elle prend parfois des congés sabbatiques, pour mener à bien sa carrière de romancière, mais à aucun moment, elle ne pense à quitter l’hôpital. En 1993, sort son premier roman qui remporte plusieurs récompenses. Il s’intitule La grande drive des esprits. Elle n’a que 37 ans et se voit remettre le grand prix des lectrices du magazine Elle et le prix Carbet de la Martinique créé par Edouard Glissant.  

La grande drive des esprits raconte l’histoire en Guadeloupe de Léonce, un infirme qui a bien du mal à séduire les femmes. C’est pourtant un homme bon et travailleur. Il finit par conquérir le cœur de Myrhta qu’il épouse, mais les malédictions s’abattent sur sa famille de génération en génération.

Dans son dernier roman La vie privée d’oubli, l’une des deux héroïnes, Yaëlle passe un long séjour en hôpital psychiatrique. Elle entreprend un voyage entre la Guadeloupe et Paris avec des capsules de cocaïnes dans le ventre qui se répandent dans son corps. Prise en charge à l’hôpital, elle est hantée par son ancêtre Agontimé arrachée à l’esclavage qui lui retrace toute l’histoire de la Guadeloupe.

Gisèle Pineau a effectué un test ADN en 2021. Elle est persuadée que le traumatisme de l’esclavage se transmet de génération en génération. Elle fait des recherches à ce sujet et cite dans son roman des scientifiques qui ont étudié la question de près "tels qu'Aimé-Charles Nicolas et Benjamin Bowser, professeurs émérites l'un en psychiatrie et addictologie à l'université des Antilles, le second en sociologie à la Cornell University, Ithaca, New-York". 

Gisèle Pineau aime rencontrer son public. Cette année, elle a notamment fait connaissance de lectrices à la prison de Baie-Mahault en Guadeloupe. Elle entretient une relation particulière avec ses lecteurs et apprécie leur contact. "S’il n’y a pas de lecteurs ou de lectrices, à quoi ça sert d’écrire", lance Gisèle Pineau dans #MaParole. 

En 2021, elle s’est intéressée à un personnage complètement oublié de l’histoire de l’art : Adrienne Fidelin. Cette Guadeloupéenne de toute beauté figure sur de nombreuses photos aux côtés de Picasso ou de Man Ray, le photographe américain dont elle a été la compagne avant la Seconde Guerre mondiale. Les éditions Philippe Rey ont sorti cette année ce roman en livre de poche qui avait remporté le prix du roman historique en 2021. 

Gisèle Pineau, écrivaine

♦♦ Gisèle Pineau en 5 dates ♦♦♦

►18 mai 1956

Naissance à Paris

►1993

Premier roman publié : La Grande Drive des esprits (Le serpent à plumes), Grand Prix des lectrices du magazine ELLE et Prix Carbet de la Caraïbe

►2000

Retour à Paris après 20 ans passés en Guadeloupe

►2021

Ady, soleil noir, Prix du roman historique (Éditions Philippe Rey)

►2024

La vie privée d'oubli (Éditions Philippe Rey)