Groix, des docs et des îles

Le temps d’un festival du film documentaire, Groix, dans le Morbihan, est l’île des îles. Principal attrait pour l’outre-mer de ce festival du film insulaire, 19e édition : faire d’un sujet historique un événement contemporain. 
Avant même le débarquement du bateau qui nous amène de Lorient, commence comme un air de festival… C’est à tribord qu’il faut se tenir pour jeter un œil sur la jetée de Port-Tudy où une exposition photo accueille les visiteurs. Parmi eux nombre de touristes ou de résidents temporaires qui font se multiplier par dix la population de l’île de Groix, officiellement de 2200 habitants.

Sur la jetée donc, à partir du phare vert, une exposition montre sur fond de mer et de voiliers à taille humaine, les photos du Chilien Pedro Lopez avec ce « Voyage à Caguach », l’une des îles Chiloe, dans le sud de l’Amérique du Sud, comme si s’annonçait un voyage dans le voyage…
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Serait-ce un festival pour géographes patentés que ce Fifig, acronyme affectueux que les Groisillons utilisent volontiers ? ou pour touristes qui se font des réserves d’images pour l’hiver ? ou pour cinéphiles, alors qu’en même temps Douarnenez, en Nord Bretagne, propose un festival de documentaires spécial Algérie et que Lussas en Ardèche réunit la crème du docu ?

Nous en aurons une réponse dès 10h lors de la première séance au Cinéma des familles, lieu emblématique de l’île, à voir la file d’attente qui se presse pour voir un film belge d’Els Dietvorst sur un port irlandais (« I watched the white dogs of the dawn » [J'ai regardé les chiens blancs de l'aube]) ou le lendemain, toujours à la séance de 10h, un film français sur un centre de détention « ouvert » en Corse, « La liberté », documentaire de Guillaume Massart, d’une durée de 2h26 qui sera récompensé ultérieurement du Grand Prix du film insulaire 2019. L’engouement est tel cette année que les responsables du Fifig ont dû s’affairer pour organiser des rediffusions.

Engouement donc d’amateurs éclairés, de fidèles (« toujours les mêmes », me dit un réalisateur quelque peu désabusé), mais les parents viennent avec les enfants en journée alors que la nuit venue, c’est cinéma sous les étoiles, devant l’océan, à Port-Lay, lors de la projection d’un film en plein air sur la façade d’une belle maison de Port-Lay.

Une rade minuscule crée un espace ouvert sur le ciel et l’océan, ambiance cosmique donc, pour spectateurs, disons, appliqués et attentifs. D’autant que le documentaire du cinéaste chilien Carlos Lértora « Archipiélago » raconte comment pendant deux ans, les artistes sonores Fernando Godoy et Esteban Agosín ont navigué dans l’archipel de Chiloé, sur un bateau transformé en studio de radio, pour capturer des sons et des histoires et les transmettre sur l’archipel et sur le continent à la manière d’une radio pirate flottante.

Sur les hauts, la buvette fait son office sereinement. Bière de Groix à la carte.
« Je viens depuis la première édition, en 2001, nous explique ce résident-touriste-cinéphile, et j’aime beaucoup l’esprit du Fifig, fait de menus patates au début, de gastronomie maintenant. » Filons la métaphore culinaire pour la programmation concocté par Sarah Farjot depuis trois ans, et donc obligatoirement résidente de l’île et qui annonce une participation pour les quatre jours de festival international du film insulaire de Groix (Fifig) de 15 000 personnes.


Les îles chiliennes sont à l’affiche cette année, avec en vedette le réalisateur pascuan (rapa-nui) Leonardo Pakarati. Chilienne par nationalité, polynésienne par sa culture, l’île de Pâques est l’objet d’un film « Te Kuhane o te tupuna » (L’esprit des ancêtres) qui raconte le voyage d’un grand-père et de sa petite fille, accompagnés par le réalisateur lui-même au British Museum. Ils sont venus demander la restitution d’un moaï emblématique car « le Moaï est un hommage à l’esprit vivant d’une personne », explique le cinéaste dans notre reportage.
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La position du cinéaste est relayée sur le site du ministère des Biens nationaux chiliens où une pétition demande « le retour du moaï » du nom de « Hoa Hakananai’a » et en donne les raisons.


Le moai à l’homme-oiseau

Selon la version officielle publiée sur le site du ministère chilien des Biens nationaux, le moai Hoa Hakananai'a est « une icône ancestrale de la culture Rapa Nui. Il a été pris en 1868 dans l'île dans des circonstances douteuses par le navire anglais HMS Topaze pour être remise en cadeau à la reine Victoria d’Angleterre en 1869, qui en fera ultérieurement don au British Museum de Londres. Le moai est sculpté dans du basalte, pas dans la pierre volcanique comme la grande majorité. Il pèse 4 tonnes et mesure 2,42 mètres de haut pour 96 centimètres de large. Sur son dos était racontée l'histoire de l'homme-oiseau (Tangata Manu), qui a été peint à l'origine mais a perdu cette caractéristique particulière après le frottement produit lors du transfert à la barge.

La communauté Rapa Nui affirme que le mana, ou énergie surnaturelle, du Hoa Hakananai'a appartient à l'île et ne doit pas être en dehors de celle-ci, « ce n'est pas une pièce de musée, c'est un ancêtre très précieux pour nous et qu'il doit rendre Carlos Edmunds, président du Conseil des anciens de Rapa Nui. »
 

Objets dispersés ou ambassadeurs ?

A Groix, le film sur l’île de Pâques a été projeté avant un second documentaire du Pacifique, « Kanak, le souffle des ancêtres », réalisé en 2013 par Emmanuel Desbouiges et Dorothée Tromparent. Dans ce documentaire, les conservateurs de musée Emmanuel Kasarhérou et Roger Boulay retracent l’inventaire des objets kanak et citent la parole de Jean-Marie Tjibaou favorable au « patrimoine kanak dispersé », c’est-à-dire à des objets d’art considérés comme ambassadeurs de la culture kanak.

Les deux positions, calédonienne et pascuane, sont donc divergentes. Mais le débat n’a pas eu lieu à Groix : le réalisateur Emmanuel Desbouiges n’ayant pas un avis tranché sur cette question contrairement à Léonardo Pakarati, porte-parole par son documentaire du Conseil des anciens de Rapa Nui.
 

Fahavalo

Avec « Fahavalo » (« ennemi » en malgache), c’est un autre film qui est traversé par l’histoire. Nous ne sommes plus à l’époque de la reine Victoria mais juste après la seconde Guerre mondiale. « Nous nous sommes intéressés aux derniers témoins, presque centenaires, des grands-pères et des grands-mères à qui nous avons demandés de raconter », nous dit la réalisatrice Marie-Clémence Andriamonta-Paes.
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Après l’armistice de 1945, deux camps s’affrontent entre ceux qui sont attachés à l’administration française et ceux qui réclament l’indépendance. L’insurrection commence le 29 mars 1947 quand « quelques centaines d'hommes simplement armés de sagaies et de coupe-coupe attaquent des petites villes côtières et des plantations. Ils s'en prennent aux Européens mais aussi aux Malgaches qui vivent et travaillent avec eux. Les colons sont pris au dépourvu et ne peuvent réagir faute de moyens militaires sur place », retrace le site d’histoire Hérodote

La répression fera plusieurs dizaines de milliers de morts. « L'insurrection de 1947 a été gommée de la mémoire collective des Français mais aussi des Malgaches qui admettent mal que les leurs aient pu très durement s'affronter. »
D’où l’importance du film Fahavalo ou d’autres engagements d’artistes comme l’écrivain Jean-Luc Raharimanana, auteur avec le photographe Pierrot Men de « Portraits d'insurgés - Madagascar 1947 », aux éditions Vents d'ailleurs.