Delphine Lérès : "J’ai vécu 15 ans d’errance médicale avant que l’on ne me diagnostique de l’endométriose"

Delphine Lérès
En France une femme menstruée sur dix souffre d’endométriose. Si cette maladie est largement répandue, ses causes restent encore méconnues et les traitements inexistants. Pourtant, plusieurs études pointent aujourd’hui l’importance de perturbateurs endocriniens comme le chlordécone ou encore de facteurs génétiques dans le développement de la maladie.

Delphine Lérès a 33 ans. En 2018, après quinze années d’errance médicale, le diagnostic tombe, Delphine est atteinte d’endométriose. "Enfin savoir ce que j’avais, a tout d’abord été un soulagement", témoigne l’auto-entrepreneuse en bijouterie installée en Seine-et-Marne. Mais très vite, cet apaisement laisse place à l’angoisse, "le médecin m’a informée que j’étais au stade le plus avancé de la maladie", confie la jeune femme d’origine guadeloupéenne. Pathologie longtemps ignorée, l’endométriose est une maladie gynécologique dans laquelle "le tissu qui tapisse normalement l'utérus, appelé l'endomètre, se développe en dehors de celui-ci", explique l’Institut Pasteur dans un communiqué. Les patientes souffrent généralement de fortes douleurs abdominales, notamment durant les règles ou les rapports sexuels et peuvent également développer dans certains cas des troubles de la fertilité.

"Je vis avec une angoisse constante"

Si aujourd’hui grâce à un traitement hormonal la maladie de Delphine a pu être stabilisée, les symptômes eux ne disparaissent pas. "J’ai des douleurs au ventre tous les jours", témoigne Delphine avant d’ajouter "je subis une fatigue chronique et je vis avec une angoisse constante, car je risque des complications à tout moment". Une pathologie lourde et invalidante qui pèse sur la vie professionnelle de la jeune femme. "J’ai occupé un poste en 35h dans la vente, mais mes conditions de santé ne me permettent plus de travailler dans ce genre d’emploi", détaille Delphine. Les transports et les longues heures de travail passées debout sont devenus mission impossible pour elle et elle a dû adapter son mode de vie. "Je me suis tournée vers des activités que je peux exercer assise comme la bijouterie. De plus, je suis aujourd’hui reconnue comme travailleuse handicapée", explique-t-elle. Par ailleurs, elle témoigne du poids qu’a la maladie sur sa vie personnelle et familiale. "Quand j’ai été diagnostiquée, des gens sont partis. Il est important d’être bien entourée, je trouve qu’on ne prend pas assez en compte l’accompagnement psychologique des patientes atteintes d’endométriose".

Les perturbateurs endocriniens en première ligne ?

Ethnie, hérédité, exposition aux polluants, les causes de l’endométriose restent encore aujourd’hui difficiles à définir, mais certains spécialistes s’expriment à ce sujet. "Si nous avons pu constater de l’hérédité dans certains cas, une étude américaine a montré que l’ethnie n’influe pas sur cette maladie", argumente le docteur Charles Quist, gynécologue obstétricien spécialisé en endométriose et désormais retraité. Après plus de quarante années de carrière à la Martinique, le docteur Quist fut un précurseur dans le diagnostic et le traitement de la maladie. S’il explique que des études scientifiques sont difficiles à mener à petite échelle, des praticiens ont détecté des signaux alarmants sur leurs malades antillaises, "Il n’y a pas plus de cas d’endométriose ici qu’ailleurs, néanmoins il y a plus de formes graves et celles-ci sont observées chez des patientes plus jeunes". En cause, le chlordécone, pesticide et perturbateur endocrinien qui serait le principal responsable de ces formes graves "la Martinique détient le triste record du plan grand nombre d’endométriose pulmonaire, une forme grave de la maladie", témoigne Nataly Dabon, présidente de l’association Endo Form 972 et patiente experte.

Prévenir et informer

Pour éviter aux autres femmes de vivre la même errance médicale qu’elle, Delphine profite de sa chaîne Twitch (réseau social de streaming en ligne) pour informer. "J’ai réalisé une émission spéciale entre personnes afro-descendantes atteintes d'endométriose sur ma chaîne Delfea", argumente la jeune femme. L’occasion pour elle de partager son expérience, mais aussi d’alerter sur la prise en charge de cette pathologie, "Chaque patiente est différente et chaque corps est différent, jusqu’à ce que l’on trouve une pilule qui me convienne, j’ai longtemps eu l’impression d’être un cobaye". Delphine évoque le parcours du combattant qui attend les malades ou encore le mépris que subissent les patientes de la part de certains soignants qui ignorent leur souffrance. "Nous avons trop longtemps normalisé la douleur des femmes", s’insurge le docteur Quist, "nous avons sous-estimé le poids de cette douleur qui perturbait leur vie et leur bien-être".

En France, des milliers de femmes vivent chaque jour avec ce handicap invisible. En moyenne, une patiente atteinte d’endométriose attendra sept ans avant d’être diagnostiquée. Si elles peuvent aujourd’hui bénéficier d’un accompagnement médical, le "coût financier et mental" de l’endométriose sur les malades reste non négligeable, alerte Delphine.