Législatives 2024. Les élus d'Outre-mer, au cœur des tractations à l'Assemblée

Les Outre-mer sont représentés par vingt-sept députés à l'Assemblée nationale.
Les 27 députés ultramarins sont particulièrement courtisés pour former les groupes politiques qui structureront la vie parlementaire ces prochains mois. Loin d'une formalité, les groupes dessinent les rapports de force au sein du Palais-Bourbon.

Un chiffre, quinze, et une date, le 18 juillet. Les négociations jouent à plein pour dessiner les futurs groupes politiques qui structureront l’Assemblée nationale. Il faut être quinze parlementaires au minimum pour en former un et les députés nouvellement élus ont jusqu’au jeudi 18 juillet pour s’affilier. Loin d’être une formalité administrative, l’enjeu politique est considérable, et dans cette course aux alliances, les 27 députés ultramarins sont une carte essentielle.

"Depuis les élections, on a plein de coups de fil, de toutes parts, confirme Jean-Victor Castor, député de Guyane. J’espère que ce n’est pas par opportunisme politique."  "En ce moment, les Outre-mer pèsent lourdement. Ça pourrait vraiment faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre", estime Olivier Serva, qui siégeait au sein du groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT) avant la dissolution de l'Assemblée nationale, mais qui regrette que les Ultramarins ne se réunissent pas dans un "grand groupe Outre-mer".

Peser dans la vie parlementaire

Un député ne peut faire partie que d’un seul groupe politique à la fois. Il peut aussi choisir de n’intégrer aucun groupe, il sera alors "non inscrit". Mais les groupes sont au cœur du fonctionnement parlementaire : faire partie d’un groupe permet de poser des questions au gouvernement par exemple. Lors de l’examen d’un texte, les temps de parole sont attribués en fonction du poids de chaque groupe politique. Les places dans les commissions (les instances qui amendent les textes avant qu'ils ne soient discutés dans l'hémicycle) sont aussi distribuées en fonction de la taille des groupes.

En règle générale, les députés se réunissent en fonction de leurs sensibilités politiques. Mais parce qu’avoir un groupe est essentiel pour peser dans la vie parlementaire, certains attelages sont plus baroques. Ainsi, avant la dissolution de l’Assemblée nationale, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) regroupait des élus communistes, pas assez nombreux pour former un groupe à eux seuls, et des élus ultramarins. Parmi ces derniers, huit ont été réélus dimanche. Que décideront-ils de faire ? Quitter GDR au risque de faire disparaître le groupe ? Rejoindre une autre formation ? 

Tentatives de débauchage

"Je sais qu’il y a des tentatives de la part d’autres groupes d’aller piocher dans notre groupe, parce que chacun veut essayer de gonfler sa propre force pour avoir plus que le voisin", commente le député communiste André Chassaigne, président du groupe GDR lors de la précédente législature, avant de faire une revue des troupes. Dans l’état actuel des choses nous avons trois députés de La Réunion, deux députés de la Martinique, deux de Guyane... En Polynésie, nous en perdons deux." Des trois députés polynésiens qui siégeaient chez GDR, seule Mereana Reid Arbelot a été réélue. André Chassaigne espère néanmoins convaincre Emmanuel Tjibaou, député indépendantiste élu en Nouvelle-Calédonie, de rejoindre son groupe, comme l'a fait Robert Xowie, lui aussi indépendantiste calédonien, qui a choisi de rejoindre le groupe communiste après son élection au Sénat en octobre 2023. "C’est à lui de prendre cette décision. Ce serait une figure qui aurait du sens, une figure historique. Pour nous, ce serait important", souligne André Chassaigne.

Comme tout le monde on a eu des coups de fils. Il n’y a aucune raison pour l’instant qu’on ne soit pas GDR, mais il y a beaucoup de propositions.

Davy Rimane, député de Guyane.

Les vases communicants ne fonctionnent pas que dans un sens et si des élus pourraient quitter GDR, le groupe pourrait aussi en gagner en accueillant les "purgés" LFI, écartés par la direction du parti et non soutenus lors des législatives. Mais l’arrivée au sein du groupe de ces figures médiatiques, notamment François Ruffin, Clémentine Autain et Alexis Corbière, n’est pas du goût de tous les élus ultramarins, qui craignent de voir les rapports de force évoluer en leur défaveur, les enjeux propres à leurs territoires s’effaçant devant les priorités de ces figures politiques nationales.

 Gonfler les rangs

Si la constitution des groupes politiques à l’Assemblée amène toujours son lot de négociations, se dessine, dans le contexte de ces élections législatives qui n’ont pas dégagé de majorité claire, une autre bataille. Au sein du Nouveau Front populaire, les partis, notamment LFI et le PS, cherchent à gonfler leurs effectifs pour revendiquer la nomination du ou de la future Première ministre dans leurs rangs.

"On va leur proposer [aux élus ultramarins, ndlr] d’être dans notre groupe, assure Eric Coquerel, figure de la France insoumise. Je ne pense pas qu’ils iront dans le groupe socialiste. Je dis ça parce que c’est là que va se jouer l’équilibre." Celui qui espère attirer les députés d’Outre-mer anciennement GDR estime qu'en 2022, les Ultramarins avaient fait le choix de GDR pour "l’autonomie que leur permettait le groupe". Une préoccupation prise en compte par LFI selon Eric Coquerel, qui se veut rassurant : "Je crois qu’ils sont suffisamment forts et qu’ils ont montré suffisamment d’homogénéité durant le dernier mandat pour intégrer notre groupe et garder cette particularité. En tout cas, nous, on la respectera."

Dans tous les camps, les tractations se poursuivent. Elles peuvent durer longtemps : même pour les élus affiliés à un parti, la question du choix du groupe politique se pose. "Mon cœur va aux PS et apparentés, maintenant tout peut être ouvert, peut-être qu’on va me faire de meilleures propositions", expliquait mercredi Béatrice Bellay, pourtant élue dimanche dernier sous la bannière socialiste en Martinique.