En Guyane, tensions autour du foncier

La récente condamnation, inédite, d'agriculteurs et d'un maire en Guyane pour occupation illégale du domaine privé de l'État fait ressurgir la problématique du foncier et de l'agriculture dans ce territoire d'Amérique du sud où l'État détient 90% des terres.
Le 12 juin, le tribunal de grande instance de Saint-Laurent du Maroni (ouest), saisi par l'Office national des forêts (ONF), a condamné douze agriculteurs pour "occupation" de parcelles "sans droit ni titre" à Apatou, commune isolée de 6.700 habitants, et prononcé la co-responsabilité de la mairie.

"C'est une première qui va peut-être créer une jurisprudence", a commenté à l'AFP une source proche du dossier, précisant que c'est la "surface très importante" de l'occupation qui a interpellé les autorités.

Pour s'installer, les agriculteurs doivent recevoir l'accord d'une commission d'attribution foncière (CAF) où siègent l'État, le maire et les collectivités. Mais à Apatou, ces agriculteurs, installés depuis 2016, ont irrégulièrement abattu et brûlé plus de 90 hectares de forêt, l'équivalent de 128 terrains de foot. "Le maire a délivré douze attestations individuelles de 10 hectares chacune", a expliqué la préfecture de Guyane. L'illégalité intervient sur un "espace naturel de conservation durable" de l'État géré par l'ONF, a-t-elle ajouté.
 

Développer le marché local

Pour le président de la chambre d'agriculture de Guyane, Albert Siong, "les maires doivent savoir qu'ils ne peuvent pas faire ça". Sous le coup d'une mesure d'"expulsion" (sous astreinte de 100 euros d'amende par jour de retard), les agriculteurs, qui se sont retournés contre le maire, sont aujourd'hui désarmés mais soutenus par les villageois.
 

 

"On ne cédera pas", a affirmé à l'AFP, Laurietta Carolina, secrétaire générale du syndicat agricole FDSEA. "Nous refusons que les agriculteurs partent car ils ont les seules véritables parcelles de fruitiers de la commune et nous voulons développer un marché à Apatou pour manger local : des citrons, des ramboutans, des mandarines". Le député guyanais Lénaïck Adam (LREM) a réclamé qu'"à titre exceptionnel", l'État "régularise la situation".
   

"Parcours du combattant"

En Guyane, beaucoup d'agriculteurs s'installent illégalement et réclament parfois une régularisation. "A l'Ouest, les dynamiques d'occupations se concrétisent avant toute officialisation des attributions foncières", soulignait le dernier bilan décennal de l'ONF. "Deux ans" sont nécessaires à l'obtention d'un bail ou d'une cession, selon Albert Siong. "C'est le parcours du combattant", de l'avis de plusieurs professionnels qui expliquent ainsi la "tendance à vouloir passer à côté" des procédures. Selon la direction régionale de l'agriculture, de 2000 à 2017, "49" commissions d'attribution foncière se sont tenues, soit seulement 3 par an pour 22 communes.

Récemment, la collectivité territoriale de Guyane a apporté son soutien à des agriculteurs d'Iracoubo qui s'étaient aussi installés sans droit ni titre sur des parcelles communales, après autorisation irrégulière du maire. Une situation de "grande déforestation" dénoncée par les riverains.
   

"On ne peut pas travailler"

L'affaire révèle les difficultés du secteur agricole caractérisé par des titres fonciers de très grande taille mais qui peine à couvrir les besoins alimentaires essentiels des familles. Selon l'ONF, les terres paysannes ont cru de 46% de 2005 à 2015 sur le littoral, mais ne représente que 5% de la bande littorale.

"Il n'y a plus de foncier sur Mana (commune d'où sont originaires les agriculteurs condamnés, ndlr), ni à Apatou car tout est sous statut naturel", regrette la syndicaliste FFSEA. "Pour pouvoir travailler, les gens cherchent de nouvelles terres. A Apatou on a une école agricole. Les jeunes ont leur CAP, mais on ne peut pas les installer car il n'y a pas de parcelles", conclut-elle.

Les milieux naturels et semi-naturels couvrent 73% du littoral guyanais. De 2005 à 2015, l'équivalent d'une île comme Malte est parti en fumée au profit des hommes (urbanisme et agriculture).