" Il faut créer une force d'intervention pour rattraper 30 ans de retard " , Sabrina Mathiot, directrice de l'Union Sociale pour l'Habitat Outre-mer

Sabrina Mathiot, directrice de l’Union Sociale pour l’Habitat Outre-mer (Ushom)
L’Union Sociale pour l’Habitat Outre-Mer (USHOM) remettra officiellement au gouvernement ce lundi 2 octobre au palais du Luxembourg le premier livre blanc de l’habitat Outre-mer. Sa directrice, Sabrina Mathiot propose notamment la création d’une « task force » pour accompagner la mise en œuvre des politiques de l’habitat, de la ville et de la cohésion sociale dans les Outre-mer et ainsi rattraper trente ans de retard.

Affirmer que le chantier de l’habitat Outre-mer est immense est peu dire. Le Conseil National de l’Habitat l’affirme sans détour, dans ce domaine, " les Outre-mer ont 30 ans de retard sur l’Hexagone".

Malgré les rapports et les efforts des pouvoirs publics, à travers notamment les Plans logement outre-mer (PLOM), le constat est là. Implacable. Les inégalités demeurent profondes et s’expliquent en partie par le contexte spécifique des territoires soumis à des réalités socioéconomiques, géographiques et climatiques bien éloignées de celles qui prévalent dans l'Hexagone.

Écart entre les ambitions affichées et les moyens alloués

Dans son rapport annuel présenté au mois de février dernier, la fondation Abbé-Pierre pointait notamment du doigt les difficultés d’accès au logement, "du fait de revenus inférieurs, d’aides sociales moins solvabilisatrices qu’en métropole et d’un habitat privé fortement dégradé", tout en insistant sur "l'insuffisance" des efforts du gouvernement pour y remédier.

Depuis 2018, le nombre d’HLM financés en Outre-mer stagne et est même à la baisse depuis 2012. "En 2021, 5.267 logements sociaux ont été financés dans les DOM, loin du record de 2012 (7.643)", mentionnait le rapport. "Alors que le Plan logement Outre-mer affichait un objectif de production ou amélioration de 150.000 logements en 10 ans (15.000 par an), celui-ci n’a jamais été traduit dans les budgets", relevait le rapport de la Fondation.

La ligne budgétaire unique, destinée notamment au locatif social et à la résorption de l’habitat insalubre dans les Outre-mer, n’a en effet pas augmenté proportionnellement aux objectifs, mais est restée "stable[s] au cours des dernières années" : 225 millions d’euros en 2018, 222 millions d’euros en 2019, 208 millions d’euros en 2020. Elle enregistre une légère augmentation allant jusqu’à 234 en 2022, mais cela ne couvre même pas l’inflation et encore moins l’augmentation des coûts de construction.

L’habitat insalubre concernerait près de 110.000 logements sur un parc total de près de 900 000 logements (soit 12 %). En Guadeloupe, 31 % des logements comptent un défaut grave de confort et 10 % en cumulent au moins deux, comme en Martinique. En Guyane, 47 % des ménages sont confrontés à, au moins, un défaut grave de leur logement.

Rattraper le retard

Après six ans d’échanges et de collaboration avec l’ensemble des acteurs politiques et professionnels intervenant dans le secteur de l’habitat, l’USHOM a constaté notamment que "la multiplicité des dispositifs d’aide à la construction et à la réhabilitation, les différents périmètres de leur intervention, la pluralité des institutions intervenant dans les politiques de l’habitat ou encore les modalités de rattachement institutionnel de nos territoires ultramarins à la République, ont rendu complexe et parfois illisible l’action publique", affirme Sabrina Mathiot.

Dans les cinq départements et régions d’Outre-mer où la compétence logement est exercée par l’État, la réglementation de l’habitat et de la construction diffère du droit commun sur plusieurs points : les plafonds de ressources, les loyers, les critères de zonage, les subventions, les allocations aux ménages, les incitations fiscales.

Le plafonnement du nombre de personnes à charge pour bénéficier des aides au logement était jusqu’au mois de janvier 2023 limité à six en Outre-mer. L’APL, Allocation Personnalisée au logement Foyer, instaurée dans l’Hexagone en 1978, n’a été étendu aux DROM que depuis le mois d’avril dernier.

40  mesures

Ce premier livre blanc sur l’habitat ultramarin présente 40 mesures. Il est destiné à l’ensemble des Outre-mer. Les 5 départements et régions d’Outre-mer (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion et Mayotte) qui ont les mêmes statuts que les départements et les régions de France métropolitaine, et les Collectivités Outre-Mer (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française et les îles Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie) qui bénéficient d’un statut particulier, disposent d’une certaine autonomie mais "elles peinent à construire leurs politiques de l’habitat, elles ont besoin de bénéficier de la solidarité nationale", indique Sabrina Mathiot.

"Nous proposons notamment un plan stratégique national de rattrapage sur 10 ans qui doit s’appuyer sur une loi de programmation pluriannuelle avec la constitution d’une Task Force à l’écoute de chaque territoire ultramarin et de ses habitants pour accompagner la mise en œuvre des politiques de l’habitat, de la ville et de la cohésion sociale", insiste Sabrina Mathiot. Elle ajoute que "le réflexe outre-mer, à l’instar de la référence à la République, doit être systématisé et appliqué de façon effective. Les représentants de ces territoires doivent être intégrés aux processus de décisions, notamment, aux Conseils d’administration des agences nationales dont les interventions sont structurantes".

Ce "changement systémique" préconisé par l’USHOM s’appuie sur huit axes forts comme celui de permettre aux ultramarins de bénéficier des mêmes conditions d’habitat que les hexagonaux, de répondre aux besoins de financement des bailleurs sociaux ou encore d’apporter plus de solutions logements aux ménages modestes et très modestes.

Le budget alloué au logement en hausse

Ce livre blanc est la contribution de l’USHOM à la feuille de route du nouveau ministre délégué aux Outre-mer. " Nous nous mettons à la disposition du ministre et de ses équipes pour apporter notre appui et notre expertise au service de l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens ultramarins", affirme Sabrina Mathiot.

Cette contribution intervient dans un contexte encourageant puisque le budget des Outre-mer, en lien avec la présentation du projet de loi de finances 2024 et le Comité interministériel des Outre-mer, connaitra une hausse de 300 millions d'euros en 2023-2024.  Sans conteste, une bonne nouvelle pour la directrice de l’USHOM qui se félicite des efforts entrepris par le gouvernement et la mobilisation des équipes de la Direction Générale des Outre-mer (DGOM). Sabrina Mathiot apporte néanmoins une nuance. "Je connais l’engagement et la volonté de bien faire, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de la part octroyée aux politiques de l’habitat tant il y a encore à faire".

Sabrina Mathiot, directrice de l’Union Sociale pour l’Habitat Outre-mer (Ushom)

La ligne budgétaire consacrée au logement progresse pour sa part de 49 millions d'euros et passe à 291 millions d'euros, a indiqué le ministère. Il permettra "d'accélérer la réhabilitation du parc social et privé et la lutte contre l'habitat indigne".

Conformément à la décision du Comité interministériel des Outre-mer, le ministère des Outre-mer veut également accélérer la rénovation de logements sociaux en outre-mer. Le crédit d'impôt à la réhabilitation du parc social en outre-mer sera étendu hors quartiers prioritaires de la politique de la ville, pour un effort budgétaire supplémentaire de 20 millions d'euros.

De nombreux élus et parlementaires seront présents à ce colloque de l’USHOM qui est placé sous le parrainage de Georges Patient, sénateur de Guyane. Parmi eux, Minarii Galenon-Taupua, ministre des Solidarités, du Logement, en charge des familles et des personnes non autonomes du gouvernement de Polynésie, Davy Rimane, député de Guyane et président de la délégation Outre-mer à l’Assemblée nationale, Olivier Serva, député de Guadeloupe, Victorin Lurel, sénateur de Guadeloupe ou encore le député européen Stéphane Bijoux.

Ce premier livre blanc sur l’habitat sera remis à Philippe Vigier, ministre délégué chargé des Outre-mer, qui a confirmé sa présence. En revanche, Patrice Vergriete, le ministre délégué chargé logement, sera absent.