Condamné en 1969 à la réclusion criminelle à perpétuité (échappant de justesse à la peine capitale), le Martiniquais a purgé l'essentiel de sa peine dans l'Hexagone, en Unité pour malades difficiles (UMD). En juillet 2007, Pierre Just Marny est incarcéré à Fresnes. Il introduit alors sa première demande de libération conditionnelle, 42 ans après les faits. Le jugement est renvoyé, la réponse se fait attendre.
Imbroglio fatal
Surprise, en mai 2008, il obtient non pas sa libération mais le transfert sur son île, un retour qu’il espérait depuis des années. C'est là que la confusion s'installe. "Quand j'ai été transféré à la Martinique, je m’attendais à retrouver la liberté comme cela m'avait été indiqué en quittant la prison de Fresnes", écrira-t-il en 2011 à Nicolas Sarkozy, dans sa demande de grâce présidentielle. Mais toutes ses demandes de libération conditionnelle sont rejetées, au motif qu'il doit d'abord retourner dans l'Hexagone pour être examiné au Centre national d'observation de Fresnes (ancêtre du Centre national d'évaluation, lequel comprend aujourd'hui trois sites dans l'Hexagone, mais aucun en Outre-mer).► Pour en savoir plus sur le Centre national d'évaluation, (re)lire notre enquête sur le parcours du combattant des détenus longues peines condamnés Outre-mer
Car entre sa demande de libération conditionnelle et son transfert en Martinique, la donne a changé. Une nouvelle loi a été votée en février 2008 pour prévenir la récidive (en réaction au drame dit du "petit Enis", un garçonnet violé par le multirécidiviste Fabrice Evrard). Le 29 février, une circulaire de la garde des Sceaux, Rachida Dati, paraît au journal officiel. Elle dispose que s'agissant des détenus condamnés à la perpétuité, toute libération est conditionnée par un passage à Fresnes.
Extrait de la circulaire de Rachida Dati, le 29 février 2008 :
"Je ne peux plus être trimbalé"
Retourner en métropole ? Hors de question pour Pierre Just Marny. "Il s'est braqué, se rappelle son avocat, Philippe Edmond-Mariette. Il ne comprenait pas. Il a dit : 'Jamais !'" Le Martiniquais s'en explique noir sur blanc dans sa lettre adressée à Nicolas Sarkozy le 15 juin 2011, deux mois avant sa mort : "Monsieur le Président, je ne peux plus, dans l'état physique dans lequel je me trouve, être "trimbalé", je ne sais pour quelle durée, d'un avion à la prison de Fresnes [...] Je suis fatigué et mon état de santé s'est beaucoup dégradé en détention, singulièrement ces trois dernières années (Pierre Just Marny est devenu presque aveugle, ndlr)."Consultez ci-dessous la lettre adressée par Pierre Just Marny à Nicolas Sarkozy, le 15 juin 2011 :
Les avocats du "plus vieux détenu de France" ont bien essayé d'obtenir que cette évaluation obligatoire soit effectuée en Martinique, en vain. "Considérer que seul le centre de Fresnes est légalement habilité à procéder à l'évaluation requise par la loi constitue une dénaturation de la loi ainsi qu'une violation des droits des condamnés martiniquais, qui, en raison de leur éloignement géographique, en seraient privés", font-ils remarquer dans leur argumentaire. Mais rien n'y fait. (A noter qu'à ce jour, il n'existe toujours pas de Centre national d'évaluation en Outre-mer.)
Déni de justice ?
"Dans le cas de Pierre-Just Marny, il y a eu déni de justice", martèle son avocat, toujours aussi remonté quatre ans après. "En lui accordant son retour en Martinique sans traiter la question de la libération conditionnelle, le juge d'application des peines a juste voulu se débarrasser d'un cas lourd", estime Philippe Edmond-Mariette.Après le 14 juillet 2011, voyant que sa demande de grâce présidentielle n'avait reçu aucune réponse, l'état psychologique de Pierre Just Marny s'est fortement dégradé. Il passe alors plusieurs jours à tresser une corde et inscrit ces quelques mots avant de passer à l'acte, dans la nuit du 6 au 7 août : "Courage, un jour tu sortiras de l'esclavage forcé que tu subis."
“Comme beaucoup de Martiniquais, quand j'ai appris sa mort, j’étais complètement bouleversé, se remémore son avocat. J’ai pensé que Marny avait voulu clamer : ‘Mon corps, vous l’avez gardé. Mais mon esprit est libre !’”
Pierre Just Marny en 15 dates clés |
Le cas de Pierre Just Marny cité par la psychiatre Magali Bodon-Bruzel
Magali Bodon-Bruzel est psychiatre. Elle exerce (entre autres) au Service médico psychologique régional de la maison d'arrêt de Fresnes. Dans son dernier ouvrage, "L'homme qui voulait cuire sa mère" (co-écrit avec Régis Descott, éditions Stock, 2015), elle évoque le cas emblématique de Pierre Just Marny. Extrait :"Le plus vieux détenu de France avait passé plus de 40 ans alternativement en prison et UMD (Unité pour malades difficiles) : un très grave trouble de l'humeur, une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité pour plusieurs meurtres, et une popularité Outre-mer que rien n'avait altéré. Lorsque nous le raccompagnâmes en avion, des gens l'attendaient avec des banderoles à l'aéroport. Dans les années 1960, au moment de son affaire, il avait tenu tête pendant des semaines à la police et la population locale avait pris parti pour lui. Il était devenu une sorte de héros, incarnant la lutte contre les colons, et la boulangère qui l'avait dénoncé avait vu son magasin saccagé. Il n'était pas revenu chez lui depuis une quarantaine d'années. Il était content, me rapporta Eugène, le cadre de santé qui le remit aux autorités sanitaires et pénitentiaires. Il mit fin à ses jours là-bas, quelques années après son retour. Le travail était beau à l'UPH (Unité psychiatrique d'hospitalisation), mais parfois les défis trop grands."