Les éditions Hervé Chopin publient des inédits du poète martiniquais Gilbert Gratiant, ainsi qu’une sélection de poèmes en version bilingue - créole et français - publiés antérieurement. Interview d’Isabelle Gratiant, qui a établi cette nouvelle édition.
Gilbert Gratiant, né en décembre 1895 à Saint-Pierre en Martinique, décédé en novembre 1985 à Paris à l’aube de ses 90 ans, est un poète dont l’œuvre prolifique a traversé un siècle. Beaucoup moins connu aujourd’hui, Gilbert Gratiant a joui en son temps d’une certaine notoriété du fait de l’originalité de ses écrits en langue créole, auxquels de nombreux linguistes se sont référés. L’un de ses ouvrages les plus célèbres reste à ce jour "Fab’ Compè Zicaque", un recueil de poèmes en créole publié pour la première fois en 1950 en Martinique et réédité en 1976 aux éditions Désormeaux.
Agrégé d’anglais, Gilbert Gratiant enseigna notamment au lycée Schoelcher où il eut comme élèves Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas, entre autres. Intellectuel engagé, il sera un compagnon de route des milieux communistes français, très sensible aux questions du racisme et de la décolonisation. En 1956, il participe au premier Congrès international des écrivains et artistes noirs à Paris, et en 1960 fait partie du Front antillo-guyanais pour l’autonomie animé notamment par Marcel Manville et Edouard Glissant.
"L’île parle", la publication d’inédits du poète et d’une sélection de poèmes en version bilingue – créole et français – a été établie par sa petite-fille Isabelle Gratiant. Cet ouvrage de référence qui intéresse le grand public amateur de poésie tout comme les chercheurs en littérature, comporte en outre une biographie détaillée ainsi qu’une présentation de l’œuvre de Gilbert Gratiant. Interview.
Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Isabelle Gratiant : Gilbert Gratiant est connu essentiellement pour avoir été le poète qui a fait passer le créole du statut de langue orale au statut de langue écrite. Il n’est pas le premier historiquement à avoir tenté d’écrire en créole, mais il est véritablement celui qui a réalisé une œuvre de cette importance.
En 1996 avec les éditions Stock nous avions publié une grande partie de son œuvre bilingue, la poésie en créole avec sa version française en regard, composée par Gilbert Gratiant lui-même. Mais j’avais aussi un certain nombre de manuscrits inédits. Je les ai récupérés depuis et étudiés. En est sortie l’idée d’en publier certains, considérant qu’il est significatif de constater que Gilbert Gratiant a écrit davantage en français qu’en créole. Du point de vue historique et littéraire, je pense que cela méritait une certaine attention. Ce livre présente essentiellement des inédits mais tous n’y figurent pas.
Quel souvenir gardez-vous de lui, qui était votre grand-père ?
Mon grand-père a vécu l’essentiel de sa vie en France métropolitaine où il est arrivé à l’âge de dix ans. J’ai entretenu avec lui une correspondance dès l’âge de quatre ou cinq ans. J’avais avec lui une relation intellectuelle et affective très proche. Toutefois, je ne l’ai rencontré physiquement pour la première fois qu’à mon arrivée à Paris pour y poursuivre mes études.
Je garde de lui le souvenir d’un homme extrêmement attachant, et je ne suis pas la seule à le dire. Il était d’une très grande gentillesse et d’une très grande élégance. Bien qu’il ait peu vécu à la Martinique, il en était complètement imprégné, ou imbibé comme il le disait. C’était un merveilleux orateur qui aimait parler de la Martinique, de la culture créole.
Selon vous, que peut-on retenir de son œuvre ?
Ce qu’il y a d’unique, c’est que Gibert Gratiant a laissé une œuvre en français d’une part et, d’autre part, une œuvre en créole. Elles sont distinctes, ne traitent pas des mêmes sujets, n’utilisent pas les mêmes moyens littéraires, même si l’on retrouve une même sensibilité dans ses différents types d’écrits. A ma connaissance, une œuvre ainsi composée en deux langues n’existe pas dans ces proportions, un tel volume de poèmes, de textes théoriques, de conférences, etc., sur quasiment un siècle... Gilbert Gratiant avait un engagement humaniste, son père ayant été réceptif aux idées socialistes. En khâgne au lycée Henri IV, Gilbert Gratiant a eu pour professeur le philosophe Alain qui l’a beaucoup marqué. Il s’est ensuite rapproché du Parti communiste. Cependant il n’était pas un homme de parti, un militant au sens où l’on peut l’entendre aujourd’hui. Il était mû par des idées de générosité, pour se trouver aux côtés des plus humbles, des plus démunis.
Comme l’écrit celui qui fut son élève, Aimé Césaire : «Le premier intellectuel au sens moderne du terme, c’est-à-dire un défenseur désintéressé, un défenseur sans sectarisme, mais intransigeant, de la vérité et de la liberté vraie : tel fut Gilbert Gratiant».
Gilbert Gratiant, « L’île parle, poèmes inédits » - HC éditions, octobre 2017, 560 pages. Prix : 24,50 euros.
Agrégé d’anglais, Gilbert Gratiant enseigna notamment au lycée Schoelcher où il eut comme élèves Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas, entre autres. Intellectuel engagé, il sera un compagnon de route des milieux communistes français, très sensible aux questions du racisme et de la décolonisation. En 1956, il participe au premier Congrès international des écrivains et artistes noirs à Paris, et en 1960 fait partie du Front antillo-guyanais pour l’autonomie animé notamment par Marcel Manville et Edouard Glissant.
"L’île parle", la publication d’inédits du poète et d’une sélection de poèmes en version bilingue – créole et français – a été établie par sa petite-fille Isabelle Gratiant. Cet ouvrage de référence qui intéresse le grand public amateur de poésie tout comme les chercheurs en littérature, comporte en outre une biographie détaillée ainsi qu’une présentation de l’œuvre de Gilbert Gratiant. Interview.
Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Isabelle Gratiant : Gilbert Gratiant est connu essentiellement pour avoir été le poète qui a fait passer le créole du statut de langue orale au statut de langue écrite. Il n’est pas le premier historiquement à avoir tenté d’écrire en créole, mais il est véritablement celui qui a réalisé une œuvre de cette importance.
En 1996 avec les éditions Stock nous avions publié une grande partie de son œuvre bilingue, la poésie en créole avec sa version française en regard, composée par Gilbert Gratiant lui-même. Mais j’avais aussi un certain nombre de manuscrits inédits. Je les ai récupérés depuis et étudiés. En est sortie l’idée d’en publier certains, considérant qu’il est significatif de constater que Gilbert Gratiant a écrit davantage en français qu’en créole. Du point de vue historique et littéraire, je pense que cela méritait une certaine attention. Ce livre présente essentiellement des inédits mais tous n’y figurent pas.
Quel souvenir gardez-vous de lui, qui était votre grand-père ?
Mon grand-père a vécu l’essentiel de sa vie en France métropolitaine où il est arrivé à l’âge de dix ans. J’ai entretenu avec lui une correspondance dès l’âge de quatre ou cinq ans. J’avais avec lui une relation intellectuelle et affective très proche. Toutefois, je ne l’ai rencontré physiquement pour la première fois qu’à mon arrivée à Paris pour y poursuivre mes études.
Je garde de lui le souvenir d’un homme extrêmement attachant, et je ne suis pas la seule à le dire. Il était d’une très grande gentillesse et d’une très grande élégance. Bien qu’il ait peu vécu à la Martinique, il en était complètement imprégné, ou imbibé comme il le disait. C’était un merveilleux orateur qui aimait parler de la Martinique, de la culture créole.
Selon vous, que peut-on retenir de son œuvre ?
Ce qu’il y a d’unique, c’est que Gibert Gratiant a laissé une œuvre en français d’une part et, d’autre part, une œuvre en créole. Elles sont distinctes, ne traitent pas des mêmes sujets, n’utilisent pas les mêmes moyens littéraires, même si l’on retrouve une même sensibilité dans ses différents types d’écrits. A ma connaissance, une œuvre ainsi composée en deux langues n’existe pas dans ces proportions, un tel volume de poèmes, de textes théoriques, de conférences, etc., sur quasiment un siècle... Gilbert Gratiant avait un engagement humaniste, son père ayant été réceptif aux idées socialistes. En khâgne au lycée Henri IV, Gilbert Gratiant a eu pour professeur le philosophe Alain qui l’a beaucoup marqué. Il s’est ensuite rapproché du Parti communiste. Cependant il n’était pas un homme de parti, un militant au sens où l’on peut l’entendre aujourd’hui. Il était mû par des idées de générosité, pour se trouver aux côtés des plus humbles, des plus démunis.
Comme l’écrit celui qui fut son élève, Aimé Césaire : «Le premier intellectuel au sens moderne du terme, c’est-à-dire un défenseur désintéressé, un défenseur sans sectarisme, mais intransigeant, de la vérité et de la liberté vraie : tel fut Gilbert Gratiant».
Gilbert Gratiant, « L’île parle, poèmes inédits » - HC éditions, octobre 2017, 560 pages. Prix : 24,50 euros.