Sous l'impulsion de la banane, l'agriculture guadeloupéenne diminue l'usage des pesticides

Plantation de bananes en Guadeloupe
Des cultures dominantes de bananes jusqu'aux petites exploitations vivrières, l'agriculture guadeloupéenne a commencé à diminuer drastiquement l'usage des pesticides afin de sauvegarder un territoire fragile, mais riche en biodiversité.
"Les représentants des associations écologistes nous ont fait visiter les bananeraies de nuit, on a vu les chauves-souris, il y a 300 à 400 espèces qui vivent dans ces bananeraies", raconte Jean-Louis Butel. Cet agriculteur a pris conscience de la biodiversité qu'abritait son exploitation de Capesterre Belle-eau en Guadeloupe, où il a suivi les recommandations du plan gouvernemental Banane durable.

Pollution au chlordécone

La conjonction de la chute des rendements sur ces terres en monoculture depuis 50 ans et le changement demandé par la société après la pollution au chlordécone utilisé pour traiter les bananes, mais restant dans les sols pendant plusieurs siècles, ont poussé cet exploitant à prendre un tournant vers des pratiques plus écologiques. A partir de 2007, "on n'a plus utilisé ni insecticide, ni nematicide (contre les vers), et en 2014 on a abandonné les herbicides", explique M. Butel. A la place, il a fallu instaurer la rotation des cultures canne/banane, ou encore mettre en place des couverts végétaux dans les champs et des pièges à charançon à base de phéromones.

D'une manière générale, les cultivateurs de banane ont "réduit de 70% l'utilisation des pesticides", assure Jacques Louisor, responsable des nouvelles variétés à l'institut technique tropical. La dernière barrière, ce sont les traitements contre la cercosporiose noire, véritable fléau pour les bananiers. La solution pourrait venir de la recherche : le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) a créé une variété de banane résistant partiellement à la maladie. Appelée "cirad 925", elle pourrait permettre à terme d'aller vers une culture bio.

Sécurité alimentaire

La variété 925, au goût légèrement différent, commence à être vendue en Guadeloupe. L'objectif est son arrivée sur le marché métropolitain à la fin de l'année. Avec dans le viseur un passage au bio en 2020. L'arrêt des pesticides n'est cependant "pas le seul verrou qu'il faudra lever si on veut aller vers le bio, il y aura notamment les aspects de la fertilisation", tempère Marc Dorel, chercheur au Cirad, prévenant : "Aller vers ce zéro intrant chimique suppose des coûts de production plus élevés".

Pour retrouver une sécurité alimentaire tout en s'adaptant au changement climatique, on ne peut toutefois pas s'appuyer seulement sur les grandes cultures. Il faut aussi "reconnaître et soutenir la petite agriculture, qui représente 70% à 80% dans les Antilles et jusqu'à 98% en Haïti", estime le président du Centre INRA Antilles-Guyane, Harry Ozier-Lafontaine. Les très petites exploitations "sont toujours mises de côté dans les circuits d'accompagnement et la recherche technique, car on a toujours considéré que c'était une agriculture de subsistance, mais ce sont des foyers de biodiversité et on pourrait s'appuyer dessus pour relancer l'agroécologie car elle sont plus résilientes que les systèmes en monoculture", assure-t-il.

Bioéconomie caribéenne

En Guadeloupe, l'Inra "veut être un moteur de la transition agroécologique et de la promotion d'une bioéconomie en milieu tropical", selon M. Ozier-Lafontaine. Ses équipes travaillent par exemple sur la nutrition des animaux, avec des ressources endogènes pour moins dépendre des importations, ou évaluent la transition vers une économie circulaire dans une micro-ferme.

L'INRA Antilles-Guyane travaille aussi avec douze pays des Caraïbes, dans le cadre du projet Cambionet, pour aller vers une bioéconomie caribéenne intégrant la petite agriculture. Car l'environnement de la Guadeloupe dépend également de ses voisins, comme le montre le phénomène des "sargasses", des paquets d'algues qui se développent au niveau de la côte brésilienne à la faveur du réchauffement climatique, de la déforestation et de la pollution, et que les courants ramènent vers les côtes des Antilles. Elles font fuir les touristes et sont un danger pour les populations car elles dégagent des gaz très toxiques en fermentant. Avec plusieurs partenaires, "nous avons un projet pour revaloriser les sargasses et les utiliser autrement : faire du compost et de l'alimentation animale", explique M. Ozier-Lafontaine.