Indo-Pacifique : accord de coopération militaire entre l’Inde et l’Australie

Le Premier ministre indien Narendra Modi passe devant le Premier ministre thaïlandais Prayut Chan-O-Cha et le Premier ministre australien Scott Morrison lors du 14e Sommet de l'Asie de l'Est à Bangkok le 4 novembre 2019, en marge de la 35e Association des Sommet des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE).
Inde et Australie ont signé un accord de coopération militaire. Une nouvelle étape pour les deux pays, saluée par les observateurs, afin de faire face à l’influence croissante et menaçante de la Chine dans cette immense région qui contient et borde les océans Indien et Pacifique.
 
Un sommet virtuel, covid-19 oblige, mais fructueux, entre Scott Morrison, le Premier ministre australien, et Narendra Modi, son homologue indien. Les deux partis ont signé un accord notamment de coopération militaire et de soutien logistique, le MLSA (Mutual Logistics Support Agreement). Une des conséquences est que chaque pays aura accès aux bases de l’autre. Le texte facilite l’interopérabilité et ouvre la voie à de nouveaux échanges et manœuvres militaires dans la zone Indo-Pacifique. L’Inde a déjà des accords similaires avec la France, les Etats-Unis et Singapour.
 

Entente cordiale

Mais l’entente entre les deux nations ne se limite pas au cadre militaire comme l’explique Scott Morrison :
 

L'accord de soutien logistique mutuel et un accord de mise en œuvre de la défense, de la science et de la technologie, ce sont les choses substantielles que de bons amis développent ensemble qui offrent la possibilité de nombreuses autres opportunités commerciales qui se présentent à nous. Nous partageons une vision de systèmes multilatéraux ouverts, libres et régulés dans notre région.

Nous sommes déterminés à jouer un rôle ouvert, inclusif et prospère dans l'Indo-Pacifique et le rôle de l'Inde dans cette région, notre région, sera essentiel dans les années à venir. 


Et même au-delà puisque l’Australie a réaffirmé son soutien indéfectible à l’obtention par l’Inde d’un siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.
 

Se renforcer mutuellement face à la puissance chinoise

Les deux pays veulent se renforcer mutuellement face à la puissance chinoise. New Delhi a notamment un différend frontalier avec Pékin dans l’Himalaya. De même Canberra subit de dures sanctions économiques de l’Empire du Milieu, son principal partenaire commercial, pour avoir osé soutenir la demande d’enquête sur les origines de la pandémie de covid-19 à Wuhan.

Mais ce qui inquiète le plus les deux nations c’est l’influence économique, politique et militaire grandissante de la Chine dans la région indo-pacifique. Entre autres actions, elle investit, massivement dans des pays riverains et des îles des deux océans et parfois y implante des bases militaires (une base est en construction sur l’île Finolhu aux Maldives, par exemple). Sa flotte est présente en force dans la zone.

Selon Mikaa Mered, interrogé par Outre-mer la 1ère, l’objectif de l’accord Inde-Australie est de "constituer une masse critique militaire et technique alternative dans l’espace indo-pacifique". Le géopolitologue, responsable du programme Coopération Internationale des Outre-Mer de l’Institut Libre d’Etudes des Relations Internationales (ILERI) considère qu’aujourd’hui "la Chine progresse plus vite que ses concurrents et sa capacité d’influence par rapport à l’Australie est très importante. L’intérêt mutuel (indo-australien) est donc de créer sinon une force, du moins un rapprochement conséquent pour contrebalancer le poids de la Chine et recréer un équilibre dans l’ensemble de la région."

La coordination va surtout concerner les marines de guerre : "L’Inde se concentre sur le Nord de l’Océan Indien et va peu dans le Pacifique. L’Australie s’occupe du Sud de l’Océan Indien, sans remonter vers le Nord, et du Pacifique. Les deux partenaires sont complémentaires » et doivent « étendre leurs capacités d’action."
 

Le Quad, autre structure pour contrecarrer l’expansionnisme chinois

L’Inde pourrait même accepter que l’Australie prenne part aux prochaines manœuvres du Quad, Malabar 2020, cet été au Japon. Jusqu’à présent, New Delhi s’y opposait pour ménager la susceptibilité de Pékin. Le Quad (Quadrilateral Security Dialogue) est aussi une structure constituée pour contrecarrer la Chine. Elle rassemble l’Inde, l’Australie, le Japon et les USA. Ce dialogue  peut même être parfois élargi au Quad plus, avec la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, et le Vietnam.

L’Indonésie qui se sent depuis deux ans une vocation Pacifique pourrait aussi entrer dans la danse pour peu que ce pays musulman, le plus peuplé au Monde, rassure les Indiens sur ses relations avec le Pakistan, autre pays musulman, en conflit avec l’Inde et proche de la Chine. D’autres nations de la région sont aussi concernées et intéressées. De même que la Grande Bretagne (surtout via le Commonwealth), ainsi que la France grâce à ses territoires ultramarins dans les 2 océans, et sa zone économique exclusive dont plus des neuf dixièmes sont situés dans l’Indo-Pacifique.
 

La France partenaire privilégié

Pour Mikaa Mered, la France "contribue directement à cette offre alternative de sécurisation indo-pacifique, l’Inde et l’Australie étant ses deux partenaires privilégiés dans la zone". Sur le plan opérationnel, c’est "une force importante qualitativement, mais un petit poucet quantitativement". Par exemple, ses effectifs, tous corps d’armées confondus, se limitent à 4 000 hommes dans la région. A comparer aux 25 000 hommes de la seule armée de Terre australienne et surtout au million des forces terrestres indiennes.

Elle est "un fournisseur majeur d’armes pour les deux pays". Paris a vendu notamment des sous-marins à Canberra pour 34,5 milliards d’euros en 2016, ainsi que des avions de combat Rafale, des sous-marins Scorpène, et des missiles Exocet à New Delhi. Cela favorisera l’interopérabilité des marines australienne et indienne. Ces armes françaises constituent une alternative aux équipements américains largement majoritaires.
 

Avec ou sans les Américains

Le MLSA devrait être salué par plusieurs nations. C’est un "momentum" d’une coopération régionale entamée dans les années 2 000, et relancée en 2 017, juge Mikaa Mered. D’autres coopérations bilatérales et trilatérales sont en perspective dans la région indo-pacifique. Selon le spécialiste, "l’objectif est de développer une stratégie régionale, en complémentarité des objectifs propres des États-Unis, qui restent la puissance dominante de la région". Ceux-ci sont encore le seul contrepoids crédible face aux Chinois. Mais "on ne sait pas vers où iront les USA à long terme". D’autant que si l’administration Obama était largement tournée vers l’Indo-Pacifique (stratégie du « pivot vers l’Asie »), le slogan de Donald Trump "America first" ne rassure pas certains observateurs en Australie.

En tout cas, il sera plus que jamais nécessaire d’assurer entre autres la sécurité et la liberté du trafic maritime dans une région qui en accueille la plus grosse part. Elle abrite le centre de gravité économique et une grande majorité de la population de la planète. Elle risque donc de concentrer d’importantes tensions. Plusieurs pays concernés, de près ou de loin, l’ont très bien compris.