Il est 12 heures, jeudi 23 décembre au marché de Noël de Bruxelles. À l’entrée de la rue Henri Maus, malgré le ciel gris, un chalet se fait plus remarquer que les autres par ses couleurs et son enseigne, "Chez Prudence". “Venez découvrir le meilleur vin chaud du marché de noël !” C'est le stand de Jean-Marc Marcelin, Guadeloupéen, il vient de recevoir cette année le prix du meilleur vin chaud du marché de Noël.
Des couleurs vives, des affiches de plages paradisiaques, des effluves d’alcool et une douce odeur d’épices attisent la curiosité des touristes. Les grandes bouteilles de punch, les confitures de fruits exotiques colorent l'arrière du chalet et le sourire du commerçant attirent leur regard.
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Une recette unique
Sa bonne humeur, son grand sourire et ses bons produits ravissent depuis vingt-cinq-ans les papilles des Bruxellois et des touristes de passage. Restaurateur l’année en Guadeloupe, à Anse-Bertrand, de l’enseigne Chez Prudence, il part un mois par an tenir son stand au cœur de la capitale européenne.
C’est par sa mère, que cette institution du marché est née : “Un jour, une fonctionnaire du Parlement européen, lui a évoqué le fait qu’il n’y avait aucun commerce antillais au marché de Noël. Alors, elle a commencé à entreprendre les démarches pour ouvrir un chalet. L’idée du vin chaud lui est venue, car c’est une tradition à cette époque de l’année en Europe. Pour se démarquer, elle a réalisé sa propre recette avec des épices de chez nous et un temps de cuisson toute la journée pour que les saveurs s’incorporent parfaitement à l’ingrédient de base qu’est le vin.” C’est comme cela que le vin chaud créole a vu le jour.
Une institution depuis vingt-cinq ans
C'est ainsi que Jean-Marc Marcelin a repris le flambeau de Prudence, il y a treize ans, épaulé par son employée Véronique Françoise. “J'ai longuement hésité à me lancer dans l'aventure à mon tour. Je devais le faire pour ma mère. Chaque année, je refais une demande pour être sûr d’avoir ma place lors de cet événement. Même si c’est très lourd à organiser.” Quatre cents commerces sont sur liste d’attente tous les ans. Il le prépare pendant six mois ce marché. Le restaurateur commence par l’élaboration des punchs : “Je les mets au soleil à macérer pour que le fruit se dilate.” Puis, il entame sa tournée en quête de ses ingrédients frais. “Je viens avec une tonne d’épices par fret. Je vais acheter mes 15 kilos de cannelle, ma vanille fraîche, ma cardamome, mon sucre roux. Tous ces produits sont choisis chez des producteurs locaux guadeloupéens et avec beaucoup d’amour. C’est ce qui fait la différence de mon produit final.”
Ne viendrait-elle pas plutôt du rhum blanc qu’il ajoute à la fin du vin chaud ? Il ne dévoilera pas son secret bien gardé. Face au succès de sa recette, il écoule trois cents litres de vin chaud créole par semaine.
“Je viens aussi, parce que les Belges me réservent un accueil unique.” Cela le fait tenir dans le froid hivernal de la capitale européenne. En effet, Pascale, âgée d’une cinquantaine d’année, habituée des saveurs guadeloupéennes depuis une dizaine d’années, vient cette fois-ci pour boire son traditionnel punch chaud de noël, autre spécialité de la maison. “L’année dernière, Jean-Marc nous a manqué. Sa joie de vivre nous apporte de la chaleur, par ces temps moroses.” Les larmes lui montent aux yeux lorsqu'elle évoque la fin du marché. “À nouveau on va devoir écourter ce rituel des fêtes. Je vais encore attendre un an pour le revoir et savourer ces spécialités.”
En effet, après une édition 2020 annulée par la situation sanitaire, les commerçants ont appris ce matin qu’ils devront baisser le rideau le 25 décembre à 22 heures au lieu du 2 janvier. “C’est un nouveau coup dur, explique Jean-Marc Marcelin, on retrouvait notre clientèle, cette joie de partager avec eux la chaleur de mon archipel…”
Suite à cette annonce, les riverains s’organisent. Son téléphone ne cesse de sonner depuis l’annonce de la clôture anticipée : “Ils m’appellent pour me passer des commandes de bouteilles. Ils font leurs réserves pour l’année et c’est un geste de solidarité aussi.” De nombreux Bruxellois, abasourdis par la nouvelle, viennent donc profiter d’un dernier verre chez Prudence. À l’image de Pascale : “Je vais venir tous les jours, et avec de nombreux amis samedi soir pour la dernière !”
Rendez-vous des étudiants guadeloupéens
Il ne croyait pas si bien dire, lorsque Carole-Anne, arrive grand sourire aux lèvres avec son compagnon en taquinant le commerçant : “On t’a cherché partout ! Cela fait une heure que l’on tourne, on a même écrit sur un groupe WhatsApp d’amis, pour savoir si quelqu’un t’avait vu !” Originaire des Abymes, la jeune femme attend chaque année ce rendez-vous incontournable, selon elle, de Noël. “Je suis arrivée à Bruxelles pour mes études, il y a dix ans. J’attends cette période avec impatience, car je sais que Chez Prudence sera là. C’est la chaleur de la Guadeloupe. Lorsqu’on est loin, cela fait du bien de retrouver ses racines. Je me réchauffe le cœur comme ça. Ma culture me manque, alors sentir ces odeurs, parler de la maison, avec Jean-Marc c’est une madeleine de Proust. C’est aussi le rendez-vous de tous les Antillais à Bruxelles. Une tradition mise à mal avec la pandémie mais que l’on arrive à faire perdurer.”
Ambassadeur de l’archipel
Le commerçant aime ses clients, ils parlent de leur vie, comme le mariage de Carole-Anne reporté en Guadeloupe, mais encore de ses enfants à lui, qui le rejoindront pour le réveillon. “J’ai de la chance d’avoir noué une vraie relation avec les Belges. Une fois, un client, alors malade en fin de vie, a tenu à venir me voir une dernière fois pour me dire au-revoir. C’est très émouvant.” Il partage en rigolant une autre anecdote : “Des couples se sont mêmes formés Chez Prudence !”
Une autre dame arrive, âgée d’une soixantaine d’année, elle évoque émue ses souvenirs au restaurateur de l’époque de sa mère : “Elle venait chez moi, j’ai encore de nombreux souvenirs qu’elle m’a offerts.”
Cette année, Jean-Marc Marcelin est arrivé avec des chapeaux aux couleurs de la Guadeloupe. Il les offre aux habitués, ils se baladent fièrent d’être à leur manière des ambassadeurs de l’archipel. Il se considère lui aussi comme un représentant de sa culture à des milliers de kilomètres. “Je suis toujours le seul Antillais. En plus de mes boissons, le soir je propose des acras par exemple, ajoute-t-il, représenter la Guadeloupe pendant cinq semaines à ce carrefour de l’Europe, c'est une vraie vitrine pour l'archipel.”
La saison 2021 écourtée, elle aura tout de même permis au Guadeloupéen d’être reconnu comme le meilleur vin chaud du marché. “J’ai battu le meilleur sommelier Belge, affirme-t-il avec fierté, tous les ans, des collègues cherchent à savoir que contient ma recette secrète. C’est surtout une histoire de palais, d’amour des produits et de saveurs.”
Jean-Marc Marcelin, attend ses fidèles clients pour leur dire au revoir et leur donner rendez-vous pour la saison 2022.