Jessica Oublié : "Le Bumidom laisse exsangue la Martinique et la Guadeloupe de leur jeunesse" #MaParole

Jessica Oublié est l'invitée de #MaParole
Elle s’est attaquée aux sujets qui fâchent : le chlordécone et le Bumidom, sans polémiques, avec l’envie et la volonté de comprendre l’histoire et de la rendre accessible en BD. Aujourd’hui chargée de lutter contre l’illettrisme en Guadeloupe et auteure de BD, Jessica Oublié est dans #MaParole.

Scénariste de bandes-dessinées, ce n’est malheureusement pas un métier dont on vit aujourd’hui, sauf de très rares exceptions. Et pourtant l’œuvre de Jessica Oublié est très utile. En deux romans graphiques, elle s’est attaquée à des sujets longtemps tabous : le Bumidom et le chlordécone. A chaque fois, sa démarche très didactique a fait mouche. Jessica Oublié a choisi de partir de son expérience personnelle et de creuser ces sujets en recueillant la parole de chercheurs, d’universitaires, de professionnels, mais aussi de membres de sa famille. Ses deux romans graphiques Peyi en nou (2017 Steinkis) et Tropiques Toxiques (2020 Steinkis) ont permis de mieux comprendre le contexte et les conséquences du bumidom et du chlordécone.

#1 De Clichy au Raincy

Rien ne prédestinait Jessica Oublié à devenir scénariste de BD. Elle n’avait pas spécialement d’atomes crochus avec le 9e art, en revanche un amour inconditionnel pour la Martinique et la Guadeloupe de ses parents. Née à Paris, Jessica Oublié a grandi à Clichy-sous-Bois en HLM. Elle a aimé cette enfance multiculturelle. Même si avec son 1m70 certains la traitaient de "géant noir" ! , en référence à une publicité pour des boites de conserves baptisées géant vert. Jessica Oublié était très sportive. Elle pratiquait le volley-ball au Raincy. Et c’est là dans cette commune cossue de la Seine-Saint Denis qu’elle est entrée au collège. Mais pour cela, il a fallu que ses parents et le club de volley se battent et fassent une pétition. Car son 15 de moyenne, curieusement ne suffisait pas. La directrice ne voulait pas entendre parler de son arrivée. Finalement acceptée en 6e au Raincy, Jessica s’est rendue compte qu’elle était la seule noire de la classe. Elève studieuse, elle a poursuivi ses études à la Sorbonne et a obtenu une maitrise en histoire de l’art. Pendant les vacances scolaires, tous les trois ans, au gré des congés bonifiés, Jessica Oublié a découvert la Martinique de son père et la Guadeloupe de sa mère. Un enchantement qu’elle a su cultiver.

#2 Peyi en nou

Après ses études, la future scénariste de BD a intégré la rédaction d’Africultures, la revue qui met "Les mondes en relation".  Un slogan poétique qui convenait parfaitement à Jessica. Ensuite elle s’est envolée pour l’Afrique. Embauchée à l’Alliance française en tant que coopérante, Jessica Oublié a vécu successivement en Centrafrique puis au Bénin. A son retour à Paris, elle se disait qu’elle revenait au pays. En fait, pas vraiment. En apprenant la maladie de son grand-père, elle a eu envie de renouer avec ses racines maternelles en Guadeloupe. Comme une journaliste, elle a commencé à interroger son grand-père sur son histoire. Et c’est là qu’est apparu le mot Bumidom dont elle n’avait jamais entendu parler. Elle voyait bien que c’était douloureux et compliqué d’évoquer cette histoire-là. De 1963 à 1981, le bureau pour le développement des migrations dans les département d’Outre-mer a envoyé plus de 160 000 personnes travailler dans l’Hexagone. Pour beaucoup c’était la douche froide car entre les promesses de formation et d’avenir et la réalité, il y avait un grand écart. En interrogeant son grand-père, Jessica Oublié a compris que lui n’était pas parti avec le Bumidom. Coupeur de canne, son usine avait fermé et il n’avait pas trouvé d’autre moyen de faire vivre sa famille en Guadeloupe que de quitter la Guadeloupe. Il a pris un billet d’avion et a été embauché à Paris comme agent d'entretien. Avec Peyi en nou, Jessica Oublié a ravivé une page de l’histoire des Antilles. Au fil des pages de son roman graphique se dessinent les conséquences d’une telle politique. A cause du Bumidom, selon Jessica Oublié, la Guadeloupe et la Martinique "sont les départements les plus vieillissants de France avec la Corse".

 

#3 Tropiques toxiques

Après la sortie de Peyi en Nou, album salué par le prix étudiant de la BD politique France Culture, Jessica Oublié a décidé de s’installer en Guadeloupe en 2018. A son arrivée, le scandale du chlordécone lui est tombé dessus. Elle n’avait pas eu connaissance jusque-là de cet insecticide toxique utilisé dans les bananeraies de 1972 à 1993 pour lutter contre les charançons. Jessica Oublié a donc repris sa casquette d’auteure de BD pour se lancer dans une vaste enquête sur l’histoire de ce pesticide et de ses conséquences. Résultat : un roman graphique très dense et complet intitulé Tropiques toxiques. Au terme de cette aventure qui l’a accaparée pendant deux ans, Jessica Oublié a été embauchée à l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme pour la Guadeloupe. Elle a aussi plusieurs projets de bandes-dessinées sur la Martinique vue par son père, les sargasses et les femmes métisses. A travers ses deux premiers romans graphiques, elle a commencé une œuvre d’explication sur l’histoire des Antilles qu’elle souhaite continuer avec l'enthousiasme communicatif qui la caractérise.

A la fin de Tropiques toxiques, Jessica Oublié lance un appel aux dons en faveur des travaux sur la dépollution des eaux et des sols empoisonnés par le chlordécone effectués au laboratoire de Sarra Gaspard de l'université des Antilles

A la prise de son : Bruno Dessommes

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♦♦Jessica Oublié en 5 dates ♦♦♦

1983

Naissance à Paris

2007

Maitrise d'histoire de l'art à La Sorbonne

Février 2018

Installation en Guadeloupe

2018

Prix de la BD politique France Culture pour Peyi en nou (Steinkis)

►2020

Sortie de Tropiques toxiques (Steinkis)